VII. Techniques mathématiques de base en mécanique quantique

La notation de Dirac. Amplitude et vecteur. Décomposition des vecteurs d'état. Introduction d'un opérateur dans le formalisme de Dirac. Évolution des états dans le temps ; la matrice S et une dérivée très particulière.

1. Bra-Ket ou la notation de Dirac

Nous avons déjà rencontré un type particulier d’écriture : \[\langle y|x\rangle\]

notation abrégée indiquant qu’une particule va de \(x\) à \(y\).

Ce crochet – dit de dualité – fait donc apparaître deux morceaux :

  • le premier, \(\langle y|\) appelé souvent bra ;

  • le deuxième, \(|x\rangle \) appelé souvent ket.

Nous avions également dit qu’un vecteur d’état était ainsi noté : \[|\Psi\rangle\]

symbole abstrait identifié à l’état physique dont le nom est précisément \(\Psi\).

Enfin, sur un plan strictement formel, on pourrait imaginer une certaine ressemblance entre les relations de la mécanique et l’écriture du produit scalaire de deux vecteurs.

2. Amplitude et vecteur

Considérons deux états d’amplitude \(\chi\) et \(\Psi\), c’est-à-dire dans notre nouvelle écriture : \[\langle \chi|\quad\text{et}\quad |\Psi\rangle\]

L’amplitude, pour partir de \(\chi\) et finir en \(\Psi\), peut être écrite comme la somme, sur un ensemble complet d’états de base, des amplitudes pour aller de \(\Psi\) jusqu’à l’un de ces états de base puis, de cet état de base jusqu’en \(\chi\) : \[\langle \chi|\Psi\rangle ~=~\sum_i\langle \chi|i\rangle ~\langle i|\Psi\rangle \qquad[1]\]

Les vecteurs de base {\(e_i,~e_j\)}, en tant que tels sont tous orthogonaux, c’est-à-dire : \[e_i\cdot e_j=\delta_{ij}\qquad\text{symbole de Kronecker}\]

Pratiquant la technique de l’analogie pour la relation entre les états de base {\(i\)} : \[\langle i|j\rangle=\delta_{ij}\qquad[2]\]

ce qui peut expliquer que nous ayons postulé l’orthogonalité de tous les états de base.

Revenons à présent à l’équation [1] en procédant à un artifice de calcul qui consiste à ôter la partie \(\langle A|\) des deux côtés de la relation. Nous dirons pour le moment que cette écriture n’a qu’un caractère symbolique : \[|\Psi\rangle =\sum_i|i\rangle ~\langle i|\Psi\rangle \qquad[3]\]

Attention, cette relation contient toujours la même information, mais à la condition d’admettre qu’elle devra être achevée en effectuant une multiplication à gauche, donc en remettant en place un certain \(A\) des deux côtés.

Donc, si l’on veut obtenir des nombres (amplitudes), on choisit un \(A\) approprié. La même démarche pourrait être effectuée avec \(\Psi\) avec les opérations à droite. Dirac avait même suggéré d’effectuer les deux opérations, à droite et à gauche, jusqu’à obtenir en définitive la relation extrême et néanmoins étrange : \[|=\sum_i|i\rangle~\langle i|\qquad[4]\]

Paradoxalement, on peut dire que c’est la grande loi de la mécanique quantique. Il n’y en a pas d’analogue en analyse vectorielle.

Ce que dit en fait cette équation : Nous pouvons mettre n’importe quelle paire d’états \(\chi\) et \(\Psi\) à gauche et à droite pour en revenir à la toute première expression [1].

Ceci n’est pas vraiment extraordinaire, mais c’est une façon commode de rappeler que la relation [1] est vraie pour toute paire d’états.

3. Décomposition des vecteurs d’état

Revenons à l’une de nos premières expressions [3] \[|\Psi\rangle =\sum_i|i\rangle~\langle i|\Psi\rangle \qquad[3]\]

On voit que tout vecteur d’état peut être représenté comme une combinaison linéaire, avec des coefficients appropriés, d’un ensemble de vecteurs de base. On peut encore parler d’une superposition, en proportions convenables, de vecteurs unité.

Il reste à établir que les coefficients \(\langle i|\Psi\rangle \) ne sont que des nombres ordinaires (complexes). Supposons que l’on écrive : \[C_i=\langle i|\psi\rangle \qquad[5]\]

Alors l’équation [3] est identique à : \[|\Psi\rangle =\sum_i|i\rangle ~C_i\qquad[6]\]

On peut faire de même avec tout autre vecteur d’état, par exemple \(|A\rangle \). On écrira alors : \[|\chi\rangle =\sum_i|i\rangle ~D_i\qquad[7]\]

Naturellement, les \(D_i\) représentent les amplitudes \(\langle i|A\rangle \).

Supposons à présent que l’on commence par ôter \(\Psi\) de l’équation [1]. On aura : \[\langle \chi|=~\sum_i\langle \chi|i\rangle ~\langle i|\qquad[8]\]

Sachant par ailleurs que : \[\langle \chi|i\rangle ~=~\overline{\langle i|\chi\rangle }\qquad[9]\]

nous pouvons alors écrire : \[\langle \chi|=~\sum_i\overline{D_i}~\langle i|\qquad[10]\]

De ce qui précède, nous retiendrons une remarque intéressante : il suffit de multiplier l’une par l’autre les deux relations : \[\left\{ \begin{aligned} &\langle \chi|=~\sum_i\overline{D_i}~\langle i|\\ &|\Psi\rangle~=~\sum_i |i\rangle ~C_i \end{aligned} \right.\]

pour obtenir encore \(\langle \chi|\Psi\rangle \).

En effectuant cette multiplication, il faut être prudent avec la sommation des indices qui sont tout à fait différents dans les deux équations.

Tenant compte de cette remarque, reprenons l’écriture de la relation [10] : \[\langle A|=~\sum_j\overline{D_j}~\langle j|\qquad[11]\]

En la combinant avec [6], nous aurons : \[\langle \chi|\Psi\rangle ~=~\sum_{i,~j}\overline{D_j}~\langle j|i\rangle ~C_i\qquad[12]\]

Mais on sait que : \[\langle j|i\rangle ~=~\delta_{ij}\]

de sorte que seuls ne subsistent que les termes de la somme pour lesquels \(i=j\). Nous obtenons ainsi : \[\langle \chi|\Psi\rangle ~=~\sum_i\overline{D_i}~C_i\qquad[13]\]

Sachant bien entendu que : \[\begin{aligned} &D_i~=~\overline{\langle i|\chi\rangle }~=~\langle \chi|i\rangle \\ &C_i~=~\langle i|\Psi\rangle \end{aligned}\]

On voit la parfaite analogie avec le produit scalaire : \[A\cdot B=\sum_iA_i\cdot B_i\]

La seule différence tient dans la conjugaison complexe de \(D_i\) et on peut interpréter [13] comme suit : Si les vecteurs d’état \(\langle \chi|\) et \(|\Psi\rangle\) sont exprimés en fonction des vecteurs de base \(\langle i|\) ou \(|i\rangle \), l’amplitude pour aller de \(\Psi\) à \(\chi\) est donnée par un genre de produit scalaire comme dans [13].

4. Introduction d’un opérateur dans le formalisme de Dirac

Considérons des particules dans un certain état \(\Psi\). Envoyons-les à travers un appareil et effectuons une mesure pour vérifier si elles sont dans un état \(\chi\). Le résultat est traduit par une amplitude \[\langle\chi|A|\Psi\rangle\qquad[14]\]

On note que l’on peut écrire : \[\langle\chi|A|\Psi\rangle=\sum_{i,~j}\langle \chi|i\rangle ~\langle i|A|j\rangle ~\langle j|\Psi\rangle \qquad[15]\]

Si un deuxième appareil avait été utilisé en série avec le premier, nous aurions écrit : \[\langle \chi|B~A|\Psi\rangle =\sum_{i,~j,~k}\langle \chi|i\rangle ~\langle i|B|j\rangle ~\langle j|A|k\rangle ~\langle k|\Psi\rangle \qquad[16]\]

Le symbole \(A\) ne représente ni une amplitude, ni un vecteur. C’est un opérateur qui agit sur un état \(\Psi\) pour engendrer un état \(\Phi\). Ainsi : \[|\Phi\rangle =A|\Psi\rangle\]

L’opérateur \(A\) est complètement déterminé par la matrice des amplitudes:  \[\langle i|A|j\rangle\]

Cette matrice est souvent notée \(A_{ij}\) en fonction d’un ensemble de vecteurs de base.

5. Évolution des états dans le temps

5.1. Limites temporelles infinies. Matrice S

On suppose à présent que le comportement (action) de ce que nous avons appelé l’appareil n’est pas le même entre un instant \(t_1\) donné et un deuxième instant \(t_2\).

En désignant symboliquement cet opérateur par \(U\) et pour préciser le temps de départ de l’action et celui du temps d’arrivée, nous écrirons, comme dans le cas de deux appareils en séquence : \[\langle \chi|U(t_2,~t_1)|\Psi\rangle \qquad[17]\]

Ce qui, comme toute amplitude, peut encore s’écrire sous la forme étendue : \[\sum_{i,~j}\langle \chi|i\rangle ~\langle i|U(t_2,~t_1)|j\rangle ~\langle j|\Psi\rangle \qquad[18]\]

\(U\) est alors complètement décrit, avec l’ensemble des amplitudes, par sa matrice : \[\langle i|U(t_2,~t_1)|j\rangle \qquad[19]\]

Mais ce qui intéresse le physicien est le cas : \[\left\{ \begin{aligned} &t_1~~\rightarrow~~-\infty\quad;\quad t_2~~\rightarrow~~+\infty\qquad[20] \\ &U(t_2,~t_1)~~\rightarrow~~S \end{aligned} \right.\]

Cette matrice \(S\) peut naturellement être exprimée sous les deux formes : \[\langle \chi|S|\Psi\rangle \quad\text{ou}\quad\langle i|S|j\rangle\]

5.2. Cas d’un intervalle de temps

Étant donné un état \(|\Psi(t)\rangle \) au temps \(t\), nous voulons savoir ce que devient cet état après un intervalle de temps infinitésimal \(\Delta t\).

On peut écrire : \[|\Psi(t+\Delta t)\rangle=U(t+\Delta t,~t)~|\Psi(t)\rangle \qquad[21]\]

Ainsi, l’amplitude pour trouver \(\chi\) au temps \(t+\Delta t\) est : \[\langle \chi|\Psi(t+\Delta t)\rangle ~=\langle \chi|U(t+\Delta t,t)|\Psi(t)\rangle \qquad[22]\]

Nous obtiendrions, avec \(\langle i|\) (toujours par multiplication à gauche) : \[\langle i|\Psi(t+\Delta t)\rangle ~=\langle i|U(t+\Delta t,~t)|\Psi(t)\rangle \qquad[23]\]

et en décomposant \(|\Psi(t)\rangle \) sur les états de base : \[\langle i|\Psi(t+\Delta t)\rangle ~=~\sum_i\langle i|U(t+\Delta t,~t)|j\rangle~\langle j|\Psi(t)\rangle \qquad[24]\]

Considérons à présent l’amplitude pour être dans l’état de base \(i\) au temps \(t\) : \[C_i(t)=\langle i|\Psi(t)\rangle\]

En désignant par \(U_{ij}\) la matrice \(U\) : \[U_{ij}=\langle i|U|j\rangle\]

nous pourrons exprimer [24] sous la forme : \[C_i(t+\Delta t)=\sum_j U_{ij}(t+\Delta t,~t)~C_j(t)\qquad[25]\]

5.3. Vers la notion de dérivée

Nous savons que si \(\Delta\) tend vers 0, rien ne se passe, car nous devons retrouver exactement l’état original. C’est-à-dire que : \[U_{ii}~\rightarrow~1~~\text{et}~U_{ij}~\rightarrow~~0\qquad\text{si}~~i\neq j\]

Ce qui revient à dire que : \[U_{ij}~\rightarrow~\delta_{ij}\qquad\text{pour}\qquad\Delta t~\rightarrow~0\qquad[26]\]

Nous pouvons par ailleurs supposer que, pour de petits intervalles de temps \(\Delta t\), chacun des coefficients \(U_{ij}\) doit différer de \(\delta_{ij}\) par une quantité proportionnelle à \(\Delta t\). Nous pouvons alors écrire : \[U_{ij}=\delta_{ij}+K_{ij}~\Delta t\qquad[27]\]

On montre que l’on peut exprimer \(K_{ij}\) sous la forme traditionnelle quantique suivante : \[K_{ij}=-\frac{i}{\hbar}~H_{ij}(t)\quad;\quad i~:~\text{imaginaire pur}~;~~\hbar=\frac{h}{2~\pi}\]

De sorte que l’on peut écrire : \[U_{ij}(t+\Delta t,~t)=\delta_{ij}-\frac{i}{\hbar}~H_{ij}(t)~\Delta t\qquad[28]\]

Les termes \(H_{ij}\) apparaissant comme les dérivées par rapport à \(t_2\) des coefficients \(U_{ij}(t_2,~t_1)\) que l’on aurait évalués aux temps \(t_2=t_1=t\).

Le choix du terme \(H\) n’est pas neutre. Il correspond en fait à l’opérateur hamiltonien rencontré en mécanique analytique, en compagnie du lagrangien \(L\). Nous aurons l’occasion de reparler plus tard de cette question.

Revenant à la relation [25], on pourra l’écrire : \[C_i(t+\Delta t)=\sum_i \big\{\delta_{ij}-\frac{i}{\hbar}~H_{ij}(t)~\Delta t\big\}~C_j(t)\qquad[29]\]

De la somme portant sur le terme \(\delta_{ij}\), il ne subsistera que \(C_i(t)\).

On peut écrire en définitive : \[\frac{C_i(t+\Delta t)-C_i(t)}{\Delta t}=-\frac{i}{\hbar}~\sum_j H_{ij}(t)~C_i(t)\]

C’est-à-dire, à la limite (différentielle) : \[i~\hbar~\frac{dC_i(t)}{dt}=\sum_j H_{ij}~C_j(t)\qquad[30]\]

On dit que cette dernière équation apparaît comme la loi quantique de la dynamique du monde.

Sachant que \(C_i(t)\) est l’amplitude \(\langle i|\Psi\rangle \) pour trouver l’état \(\Psi\) dans l’un des états de base \(i\) (au temps t), cette équation nous dit comment chacun des coefficients \(\langle i|\Psi\rangle \) varie dans le temps.

La variation de \(\Psi\) dans le temps est décrite en fonction de la matrice \(H_{ij}\) qui doit nécessairement inclure tout ce que le système subit pour évoluer.

Si nous connaissons les \(H_{ij}\) – qui contiennent la physique du problème et peuvent, en général, dépendre du temps –, nous avons une description complète du comportement du système dans le temps.

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