XII. Théorie cinétique des gaz réels. Équation de Van der Waals

Libre parcours moyen. Diamètre non nul des molécules. Interactions moléculaires. Isothermes de Van der Waals. États correspondants.

1. Libre parcours moyen

On assimile les molécules à de petites sphères rigides de diamètre \(\sigma\). Il est évident que la distance minimum entre deux centres moléculaires est \(\sigma\). En d’autres termes, le centre d’une molécule A ne peut se trouver à l’intérieur d’une sphère de rayon \(\sigma\) centrée sur une autre molécule B et que nous appellerons sphère de protection de la molécule B.

Supposons alors pour simplifier que toutes les molécules soient immobiles, sauf une qui se déplace à une vitesse constante \(v\). Cette molécule entraîne avec elle une sphère de protection qui balaie pendant le temps \(dt\) un volume \(\pi\sigma^2~v~dt\).

Si \(N\) est le nombre total de molécules dans l’enceinte de volume \(V\), le nombre moyen de molécules par unité de volume est \(n = N/V\). Il y a donc en moyenne \(n~\pi\sigma^2~v~dt\) centres de molécules dans le volume balayé pendant le temps \(dt\) par la sphère de protection, ce qui veut dire que la sphère de protection rencontre un centre moléculaire, et qu’il y a donc choc moléculaire, à des intervalles de temps \(\tau\) dont la moyenne est \(\bar{\tau}\) telle que : \[n~\pi\sigma^2~v~\bar{\tau}=1\qquad\text{donc}\quad\bar{\tau}=\frac{1}{n~\pi\sigma^2~v}\]

Nous en déduisons un libre parcours moyen entre les chocs : \[L=v~\bar{\tau}=\frac{1}{n~\pi\sigma^2}\]

L’hypothèse suivant laquelle toutes les molécules sauf une sont immobiles est en fait un peu simpliste : en outre, il faudrait tenir compte de la répartition maxwellienne des vitesses moléculaires.

On trouverait dans ces conditions (libre parcours moyen de Maxwell) : \[\overline{L}=\frac{1}{n~\pi\sigma^2~\sqrt{2}}\]

On conçoit que lorsque n devient très faible ce libre parcours moyen puisse devenir bien supérieur au diamètre de l’enceinte. Il n’y a alors pratiquement plus de chocs intermoléculaires (gaz de Knudsen).

Le libre parcours moyen, tant que la pression n’est pas trop élevée, est inversement proportionnel à la pression.

À titre d’exemple, signalons qu’il est de 0,1 \(\mu\)m pour les molécules d’oxygène dans les conditions normales, ce qui correspond à un diamètre moléculaire \(\sigma\) de 0,3 nm et qu’il passe par conséquent à 1 mètre à la pression de \(10^{-7}\) atmosphère couramment atteinte dans les enceintes à vide élevé.

Notre modèle de gaz réel se déduira simplement du gaz parfait en renonçant aux deux hypothèses que nous avions faites : diamètre nul des molécules et absence d’interactions à distance. Nous allons voir successivement les termes correctifs qu’introduisent dans le calcul de la pression la suppression de ces deux hypothèses.

2. Diamètre non nul des molécules

Nous assimilons les molécules à de petites sphères de diamètre \(\sigma\). Le centre d’une molécule \(A_i\) ne saurait pénétrer à l’intérieur de la sphère de protection d’une autre molécule \(A_j\).

Si les molécules étaient ponctuelles, le centre de chacune d’entre elles pourrait se déplacer librement dans le volume total \(V\) contenant les \(N\) molécules.

Du fait de leur diamètre fini \(\sigma\), nous devons interdire au centre de chacune des molécules une partie du volume représenté par le volume total des sphères de protection des \(N – 1\) autres molécules, soit un volume interdit : \[(N-1)\times\frac{4}{3}~\pi~\sigma^3~\approx~N\times\frac{4}{3}~\pi~\sigma^3\]

Mais ce faisant, nous interdisons un volume deux fois trop important : en effet, ceci revient à interdire pour le centre de la molécule \(A_i\) de pénétrer dans la sphère de protection d’une autre molécule \(A_j\) et par ailleurs interdire pour le centre de la molécule \(A_j\) de pénétrer dans la sphère de protection de cette molécule \(A_i\).

Il est clair que la seconde condition est automatiquement satisfaite dès que la première l’est. Nous comptons en somme deux fois chaque sphère de protection.

Il est plus correct de considérer un choc moléculaire comme faisant intervenir deux molécules \(A_i\) et \(B_i\) ; on peut alors sans inconvénient introduire une dissymétrie momentanée en assimilant \(A_i\) à un point et \(B_i\) à une sphère de protection.

Groupons alors par la pensée toutes les molécules en couples tels que \([A_i,~B_i]\) ; le nombre de tels couples est \(N/2\).

Découpons alors l’enceinte en cellules de volume \(2V/N\) entourant chaque couple. À l’intérieur de chacune de ces cellules, la sphère de chacune des molécules constitue un volume interdit pour le centre de l’autre. Il en résulte qu’à chaque couple de molécules est affecté un volume libre : \[\frac{2V}{N}-\frac{4}{3}~\pi~\sigma^3\]

Il en résulte également qu’à l’ensemble des molécules est donc affecté un volume libre que l’on obtiendra en multipliant par le nombre de cellules : \[V'=\frac{N}{2}\times\Big(\frac{2V}{N}-\frac{4}{3}~\pi~\sigma^3\Big) =V-N~\frac{2}{3}~\pi~\sigma^3\]

Soit alors le volume total des molécules : \[\sum V=N~\frac{4}{3}~\pi~\Big(\frac{\sigma}{2}\Big)^3=\frac{1}{6}~N~\pi~\sigma^3\]

Nous pourrons écrire le volume libre dans lequel se déplacent les molécules sous la forme \(V’ = V – b\). Ce volume interdit \(b\) est désigné sous le nom de covolume.

Il est égal à : \[b=\frac{2}{3}~\pi~\sigma^3=4~\sum V\]

Le covolume est donc égal à 4 fois le volume propre des molécules.

Dans le calcul de la pression nous pourrons alors considérer que tout se passe comme si les molécules étaient ponctuelles et si le volume total \(V\) était ramené à \(V – b\).

La simple considération du diamètre moléculaire nous amène donc à remplacer l’équation d’état \(p~V = R~T\) pour une mole par l’équation : \[p~(V-b)=R~T\]

\(b\) étant égal à 4 fois le volume total des molécules contenues dans l’enceinte.

Il est clair que si la pression est très faible et par suite \(V\) très grand, nous pourrons négliger \(b\) pour retrouver la première loi. Ceci concorde avec la règle suivant laquelle un gaz quelconque tend vers l’état parfait quand sa pression tend vers zéro.

3. Interactions moléculaires

Nous allons maintenant supposer en outre que les molécules exercent l’une sur l’autre des forces à distance. Nous ignorons d’ailleurs la loi de variation de cette force d’attraction avec la distance. Une molécule est donc attirée par toutes les molécules situées dans son voisinage.

Considérons une molécule située au sein de l’enceinte, loin des parois. Elle subit de la part des molécules environnantes des forces d’attraction qui, réparties par symétrie sphérique, se détruisent dans l’ensemble.

Considérons au contraire une molécule située au voisinage immédiat de la paroi ; toutes les molécules du gaz sont situées du même côté de cette molécule : la force d’attraction globale des molécules du gaz sur une molécule située au voisinage immédiat de la paroi est différente de zéro et dirigée vers l’intérieur de l’enceinte.

Suivons alors la trajectoire d’une molécule qui vient heurter la paroi et participer ainsi à la pression du gaz sur la paroi. Tout au long d’un intervalle de temps qui entoure l’instant du choc, cette molécule est attirée par le gaz vers l’intérieur. La paroi n’est donc plus seule à ramener vers l’intérieur de l’enceinte la molécule qui vient la heurter ; elle y est aidée par le gaz lui-même ; la pression exercée par le gaz sur la paroi va donc être plus faible que si les attractions moléculaires n’existaient pas.

En termes plus précis, nous pourrons écrire la variation de la quantité de mouvement suivant \(O_x\) de la molécule sous la forme : \[m~(v'_x-v_x)~=~\int -f_x~dt + \int -f'_x~dt\]

\(-f_x\) exercée sur la paroi n’apparaît que pendant la durée très brève \(\varepsilon\) du choc proprement dit.

\(-f'_x\) exercée par la masse gazeuse apparaît tant que la molécule reste au voisinage immédiat de la paroi.

Faisons la somme pour tous les chocs moléculaires qui s’exercent sur l’unité de surface S de la paroi. On fait ainsi apparaître la pression exercée par le gaz sur la paroi sous la forme : \[p=\sum\int +f_x~dt\]

Et nous pouvons obtenir comme dans le chapitre précédent : \[m~(v_x-v'_x)=\frac{N}{V-b}~\frac{m~C^2}{3}\]

Faisons apparaître également le terme \(p=\sum\int f'_x~dt\), la somme étant étendue à toutes les molécules frappant l’unité de surface de paroi en 1 seconde. Dans cette dernière somme, le nombre de termes est approximativement proportionnel à \(N/V\) et en réalité à \(N/(V-b)\).

En outre, dans chacun des termes apparaît une force \(f’\) qui est à chaque instant proportionnelle à la concentration des centres d’attraction, c’est-à-dire à la concentration moléculaire dans l’enceinte \((N/V)\).

Nous pouvons donc écrire, en désignant par \(\alpha\) une constante ne dépendant que de la nature du gaz : \[\sum\int f'~dt=\alpha~\Big(\frac{N}{V}\Big)^2=\frac{a}{V^2}\]

\(a\) étant une constante proportionnelle au carré de la masse totale de gaz considérée (ou si l’on veut, au carré du nombre de moles).

Prenons pour fixer les idées une mole de gaz et écrivons : \[\sum\int f_x~dt+\sum\int f'_x~dt=\sum(v_x-v'_x)\]

sous la forme : \[p+\frac{a}{V^2}=\frac{N}{V-b}~\frac{m~C^2}{3}=\frac{N}{V-b}~k~T=\frac{1}{V-b}~R~T\]

Nous obtenons donc : \[\Big(p+\frac{a}{V^2}\Big)~(V-b)~=~R~T\]

équation d’état approximative à laquelle notre théorie un peu simpliste nous conduit pour une mole de gaz réel.

C’est l’équation de Van der Waals liant les variables \((p,~V,~T\)) pour une mole de gaz réel. \(R\) est la constante des gaz parfaits (constante universelle). Les constantes \(a\) et \(b\) dépendent de la nature du gaz considéré (respectivement de la loi des forces et du diamètre moléculaire).

De plus, \(b\) varie proportionnellement à la masse de gaz considérée et \(a\) varie proportionnellement au carré de cette masse.

Par exemple, pour 1 gramme de ce gaz de masse moléculaire \(M\) nous devons écrire : \[\Big(p+\frac{a}{V^2}\Big)~(V-b)~=~r~T\qquad~r=\frac{R}{M}\] mais avec une constante \(b\) \(M\) fois plus faible et une constante \(a\) \(M^2\) fois plus faible.

4. Isothermes de Van der Waals

Nous avons représenté ci-contre les isothermes de Van der Waals dans un diagramme de Clapeyron.

Fixons \(T\) à une valeur arbitraire et opérons sur un gramme de gaz.

Mettons l’équation d’état sous la forme implicite : \[(p~V^2+a)(V-b)-r~T~V^2=0\]

Il s’agit d’une cubique dans le diagramme \((p,~V)\) de Clapeyron.

Aux hautes températures, \(p\) décroît constamment quand \(V\) augmente. Aux basses températures, \(p\) passe successivement par un minimum puis par un maximum et décroît asymptotiquement vers zéro quand le volume tend vers l’infini.

Enfin il existe une température \(T_c\) pour laquelle le maximum et le minimum se rejoignent en un point d’inflexion à tangente horizontale. Les coordonnées de ce point d’inflexion sont les coordonnées critiques du fluide théoriques \((p_c,~V_c\)) pour la température critique \(T_c\) donnée. L’horizontale d’ordonnée \(p_c\) coupe la courbe en trois points confondus d’abscisse \(V_c\). La cubique de Van der Waals admet donc une racine triple \(V = V_c\)

En normalisant cette équation (coefficient unité pour \(V_3\)) : \[\Big(V^2-\frac{a}{p_c}\Big)(V-V_c)-r~T~\frac{V^2}{p_c}~\approx~(V-V_c)^3\]

Soit encore : \[V^3-(\frac{r~T}{p_c}+b)~V^2+\Big(\frac{a}{p_c}\Big)~V-\frac{a~b}{p_c}~\approx~ V^3-(3~V_c)~V^2+(3~V_c^2)~V-V_c^3\]

En identifiant les coefficients des puissances de V, on obtient : \[p_c=\frac{a}{27~b^2}\quad;\quad~V_c=3~b\quad;\quad~T_c=\frac{8~a}{27~r~b}\]

Ou bien inversement : \[a=3~p_c~V_c^2\quad;\quad~b=\frac{V_c}{3}\quad;\quad~r=\frac{8~p_c~V_c}{3~T_c}\]

Remarque 1

L’expérience montre que l’on ne peut pas considérer l’équation de Van der Waals comme représentant en toute rigueur l’équation d’un fluide réel dans tout le domaine des pressions et des températures réalisables, mais plutôt comme une équation d’état semi-empirique dont les coefficients \(a,~b,~r\) pourront être ajustés pour qu’elle s’applique au mieux à un domaine restreint de températures et de pressions.

Si par exemple les coefficients \(a,~b,~r\) sont déduits des coordonnées critiques expérimentales, l’équation de Van der Waals représentera bien les propriétés du fluide au voisinage des conditions critiques dans un domaine d’ailleurs assez étendu.

C’est un remarquable succès de la théorie cinétique que d’avoir ainsi permis, par des considérations très simples, d’obtenir une équation d’état approximativement valable pour les fluides réels.

Remarque 2

À température assez basse, les isothermes de Van der Waals passent au dessous de l’axe des \(V\), la pression devenant négative.

De tels états métastables à pression négative peuvent effectivement être observés. Il suffit par exemple de faire le vide dans la branche de gauche d’un manomètre à mercure dont l’autre branche se trouvait parfaitement remplie de mercure, à l’exclusion de toute bulle d’air. Le mercure reste collé au haut de la branche de droite : les lois élémentaires de l’hydrostatique exigent que sa pression y soit négative.

Nous sommes en présence d’un liquide tiré dont la cohésion n’est assurée que par les forces de Van der Waals. La colonne de liquide se brise dès que l’on imprime une secousse au manomètre. Nous observons là encore la rupture d’un équilibre métastable et le passage à l’équilibre stable où le mercure a la même hauteur dans les deux branches, sa pression de vapeur étant extrêmement faible à la température ordinaire (\(1\mu\)m de mercure).

5. États correspondants

Introduisons les coordonnées réduites dans l’équation de Van der Waals : \[\pi=\frac{p}{p_c}\quad;\quad\varphi=\frac{V}{V_c}\quad;\quad\theta=\frac{T}{T_c}\]

L’équation devient : \[\Big(\pi+\frac{3}{\varphi^2}\Big)~(3~\varphi-1)=8~\theta\]

Si les fluides réels suivaient exactement l’équation de Van der Waals, ils obéiraient donc tous à la même équation d’état, à condition de choisir pour chacun d’eux les données critiques comme unités de pression, de volume et de température.

Deux gaz pris dans les états tels que la pression réduite \(\pi\) et la température réduite \(\theta\) aient la même valeur seront considérées comme étant dans des états correspondants. Leur volume réduit doit être le même, ainsi que tous les coefficients que l’on peut tirer de l’équation d’état (tels que les valeurs réduites des coefficients de compressibilité et de dilatation comme de nombreux coefficients calorimétriques).

De même, les pressions de vapeur réduite de deux fluides quelconques devraient être les mêmes à des températures correspondantes. C’est en ceci que consiste la loi des états correspondants. Nous l’avons tirée de l’équation de Van der Waals, mais toute équation d’état ne dépendant que de trois constantes ajustables \([\alpha,~\beta,~\gamma]\) nous aurait conduit à la même conclusion.

Considérons en effet l’équation d’état  \(\Phi(p,V,T,\alpha,\beta,\gamma)=0\) et mettons-la sous la forme explicitant la variable \(p\), c’est-à-dire  \(p=F(V,~T,~\alpha,~\beta,~\gamma)=0\).

Au point critique : \[\frac{\partial p}{\partial V}=0\quad;\quad\frac{\partial^2 p}{\partial V^2}=0\]

Les coordonnées critiques \(p_C,~V_C,~T_C\) satisfont donc aux équations :

\[\begin{aligned} F(V_c,~T_c,~\alpha,~\beta,~\gamma)&=p_c\\ \frac{\partial d}{\partial V}F(V_c,~T_c,~\alpha,~\beta,~\gamma)&=0\\ \frac{\partial d^2}{\partial V^2}F(V_c,~T_c,~\alpha,~\beta,~\gamma)&=0\end{aligned}\]

Nous pouvons tirer \(\alpha,~\beta,~\gamma\) de ces équations en fonction de \(p_C,~V_C,~T_C\) et porter ces valeurs dans l’équation d’état qui s’écrit alors : \[\Psi(p,~V,~T,~p_C,~V_C,~T_C)=0\]

Pour des raisons d’homogénéité, cette équation doit pouvoir s’écrire sous la forme : \[f\Big(\frac{p}{p_c},~\frac{V}{V_c},~\frac{T}{T_c}\Big)=0\]

c’est-à-dire encore : \[f(\pi,~\varphi,~\theta)=0\]

La loi des états correspondants a donc un caractère plus général que l’équation de Van der Waals. Elle n’est cependant suivie que de façon grossière par les fluides réels dont les différences de propriétés ne peuvent donc être complètement représentées (on pouvait s’y attendre) par la simple variation, d’un fluide à l’autre, d’un ensemble de trois paramètres.

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