V. Formalisme de la mécanique quantique. Introduction

Une origine de la mécanique quantique. Bref rappel de mécanique analytique. Représentation de l'état physique : invariance et espace de Hilbert, formalisme de Dirac (crochets de dualité). Interférences quantiques.

1. Une origine de la mécanique quantique

Comment le formalisme de la mécanique quantique a-t-il vu le jour ? À l’origine, à partir de travaux de physique théorique comme la découverte de la mécanique ondulatoire (L. de Broglie et E. Schrödinger)et la mécanique des matrices (M. Born, H.K. Heisenberg et P. Jordan).

Et puis surtout, dans leur prolongement et leur renforcement, à partir de l’analyse d’expériences, réalisées pour déterminer l’état d’un système physique capable de se présenter en plusieurs états différents (interférences entre états quantiques par exemple).

Ainsi est apparu une sorte de triptyque dans l’ensemble des formulations : la mécanique ondulatoire, la mécanique matricielle et le formalisme invariant, à naître.

2. Bref rappel de principes de mécanique analytique

En mécanique analytique, l’état d’un système de \(n\) particules ponctuelles à un instant donné \(t\) est défini par un ensemble de \(2~n\) variables vectorielles, les coordonnées de ces particules et leurs vitesses :

\[\begin{aligned} q(t)&\equiv(q_1(t),~q_2(t),~\dots,~q_n(t))\\ \overrightarrow{\dot{q}}(t)&\equiv(\overrightarrow{\dot{q_1}}(t),~\overrightarrow{\dot{q_2}}(t),~\dots,\overrightarrow{\dot{q_n}}(t))\end{aligned}\]

L’évolution temporelle de ce système est parfaitement déterminé avec des conditions initiales données qui définissent un état initial arbitraire donné. Ce déterminisme tient au fait que :

  • l’on peut physiquement définir avec certitude l’état initial ;

  • la solution mathématique du système permet de prédire un état futur du système physique considéré pouvant être soumis à une détermination expérimentale exacte.

La mécanique analytique (se référer au module en question) s’appuie sur deux opérateurs spécifiques contenant toutes les informations sur la dynamique du système :

  • l’opérateur Lagrangien \(L\) ;

  • l’opérateur Hamiltonien \(H\), celui-ci pouvant par ailleurs se déduire du premier.

La description théorique d’un système physique se fonde sur deux règles :

  • d’une part la formalisation de l’état physique du système,

  • d’autre part ses propriétés dites observables physiques ou variables dynamiques.

Le formalisme lagrangien décrit habituellement l’état d’un système par les positions et les vitesses des points matériels qui le constituent.

Les variables dynamiques – distance, quantité de mouvement, énergie, moment angulaire – sont à présent des fonctions des positions et des vitesses.

Les équations du mouvement peuvent être établies à partir du principe variationnel, appelé encore principe de moindre action de Maupertuis, qui postule que l’action \(S(q)\) doit être telle que : \[S(q)=\int L\big[q(t),~\dot{q}(t),~t\big]~dt\]

devient un extrémum pour des variations arbitraires \(\delta q(t)\) et \(\delta\dot{q}(t)\), celles-ci s’annulant nécessairement aux limites d’intégration.

Le formalisme hamiltonien, deuxième possibilité, consiste à adopter les positions et les quantités de mouvement comme paramètres descriptifs de ces états.

En mécanique quantique, la situation est tout à fait différente.

3. Représentation des états physiques

3.1. Espaces de Hilbert

L’apparition du formalisme invariant trouve sa source dans les travaux du mathématicien David Hilbert. L’idée géniale dans la théorie des espaces de Hilbert (voir module spécifique) a été d’introduire les concepts géométriques – tout à fait classiques – de produit scalaire, de norme, de base et de projection orthogonale au sein même d’une analyse.

3.1.1. Premier postulat de la mécanique quantique

L’état d’un système physique est défini par un rayon normé d’un espace de Hilbert.

Un vecteur habituel appartient à un espace à un nombre fini de dimensions et n’est pas suffisant pour décrire l’état d’un système physique.

Prenons l’exemple de l’atome d’hydrogène. Il existe simultanément :

  1. dans un ensemble dénombrable d’états stationnaires ;

  2. dans un ensemble continu d’états d’énergie positive.

Un état de cet atome est en fait une superposition de ces états, et ces états balayent un espace à nombre infini de dimensions. Un espace de Hilbert, noté \(\mathcal{H}\), est justement un tel espace.

Rappelons qu’il s’agit d’un espace vectoriel sur le corps des complexes sur lequel on définit un produit scalaire qui donne aux vecteurs une norme définie positive. De plus, l’espace est complet et séparable.

Cette règle formalise immédiatement le principe de superposition, par l’additivité (linéarité d’un espace vectoriel) qu’elle confère à l’ensemble des états d’un système. Il existe donc une notion de somme de deux états d’un système dont le résultat reste encore un état possible.

3.2. Formalisme de représentation de vecteur d’état

La notion de vecteur d’état noté \(|\psi\rangle\) n’a rien à voir avec le vecteur géométrique au sens classique du terme. Elle est un symbole abstrait que l’on identifie avec l’état physique dont le nom est précisément \(\psi\). C’est un formalisme très pratique, car il permet d’exprimer les lois quantiques sous forme d’équations algébriques en termes de ces symboles.

Selon la loi fondamentale, tout état pouvant se construire à partir d’une combinaison linéaire des états de base, on pourra écrire : \[|\psi\rangle=\sum_i~\lambda_i~|i\rangle\]

Ces \(\lambda_i\) sont des nombres ordinaires (complexes) et sont appelés à représenter physiquement des amplitudes \(\lambda_i=\langle i|\psi\rangle\) pour les états de base \(|1\rangle,~|2\rangle,~|3\rangle,~\dots\) dans une certaine base ou représentation.

Cette écriture est dite des crochets de dualité (notations de Dirac).

3.3. Crochets de dualité

Dans l’expérience des fentes de Young, nous avons fait apparaître un premier principe de la mécanique quantique :

La probabilité pour qu’une particule provenant de la source \(s\) arrive en \(x\) pouvait être représentée quantitativement par le carré d’un module de nombre complexe.

C’est Dirac qui a inventé cette notation abrégée permettant d’exprimer l’amplitude pour que la particule aille de \(s\) à \(x\) : \[\langle x|s\rangle\]

Revenant aux probabilités étudiées pour les fentes de Young : \[P_{12}=P_1+P_2\]

Nous pouvons ainsi écrire : \[\langle x|s\rangle_{12}=\langle x|s\rangle_1+\langle x|s\rangle_2\]

Comme les actions peuvent être décomposées (produits d’amplitudes), on peut écrire, en prenant le cas de la fente 1 par exemple: \[\langle x|s\rangle_1=\langle x|1\rangle~\langle1|s\rangle\]

De sorte que l’on pourra écrire : \[\langle x|s\rangle_{12}=\langle x|s\rangle=\langle x|1\rangle~\langle1|s\rangle+\langle x|2\rangle~\langle2|s\rangle\]

Pour étendre l’application, en supposant que l’on intercale un autre niveau de trois fentes \((a,~b,~c)\) entre les premières et la plaque, on pourrait écrire :

\[\begin{aligned} \langle x|s\rangle &= \langle x|a\rangle~\langle a|1\rangle~\langle 1|s\rangle+\langle x|b\rangle~\langle b|1\rangle~\langle 1|s\rangle+\langle x|c\rangle~\langle c|1\rangle~\langle 1|s\rangle \\ &+\langle x|a\rangle~\langle a|2\rangle~\langle 2|s\rangle+\langle x|b\rangle~\langle b|2\rangle~\langle 2|s\rangle+\langle x|c\rangle~\langle c|2\rangle~\langle 2|s\rangle\end{aligned}\]

Ce qui peut s’écrire, sous forme condensée : \[\langle x|s\rangle=\sum_{i=1,2}~~\sum_{\alpha=a,b,c}\langle x|\alpha\rangle~\langle \alpha|i\rangle~\langle i|s\rangle\]

3.4. Un exemple classique d’interférences quantiques

Un faisceau de lumière polarisée traverse un polariseur et arrive sur un analyseur, parallèle. Si les axes optiques respectifs \(Ox\) et \(O'x'\) sont parallèles, la lumière traverse intégralement l’analyseur. Si les deux axes sont perpendiculaires, elle est arrêtée par l’analyseur.

Attribuons au photon une polarisation, celle de son champ associé. Les photons à polarisation parallèle à \(O'x'\) traverseront l’analyseur. Les photons à polarisation perpendiculaire à \(O'x'\) ne passeront pas.

L’expérience montre que si les axes font entre eux un angle \(\alpha\), une fraction \(cos^2\alpha\) de la lumière traversera l’analyseur.

Si \(E\) est le champ électrique incident sur l’analyseur, c’est sa projection sur l’axe \(O'x'\), \(E~\cos\alpha\), qui traversera ce deuxième polaroïd.

Considérons à présent le cas limite d’un faisceau de lumière constitué par un unique photon tombant sur les polaroïds dans un certain intervalle de temps. Le raisonnement avec les deux cas extrêmes, parallèle et perpendiculaire, s’applique encore.

Dans le cas d’une orientation \(\alpha\), on ne saurait prédire si le photon traverse ou non l’analyseur. Cependant, en répétant l’expérience un très grand nombre \(N\) de fois, le détecteur indiquera la présence d’un photon en un nombre égale à : \(N~\cos^2\alpha\).

Nous ne savons pas si un photon donné dans ces conditions de l’expérience passera ou ne passera pas par l’analyseur, mais nous pouvons dire qu’il a une probabilité de traverser l’analyseur égale à : \(\cos^2\alpha\).

Dans cette expérience, le photon est susceptible de se trouver dans deux états :

  • un état au symbole \(|+\rangle\) (photon à polarisation parallèle à l’axe optique) ;

  • un état au symbole \(|-\rangle\) (photon à polarisation perpendiculaire à l’axe optique).

Dans le cas d’un état intermédiaire par \(|\alpha\rangle\) supposé être une combinaison linéaire des deux premiers, on écrira : \[|\alpha\rangle=\cos\alpha~|+\rangle+\sin\alpha~|-\rangle\]

Les deux états forment donc une base dans un espace à deux dimensions, un état arbitraire de polarisation du photon étant un élément de cet espace.

Le produit scalaire de deux vecteurs \(|a\rangle\) et \(|b\rangle\) est noté :

\[\langle b|a\rangle=\overline{\langle a|b\rangle}\]

la barre indiquant la forme conjuguée.

À partir de ce symbolisme, on aura de manière évidente :

\[\begin{aligned} \langle+|+\rangle~&=~\langle-|-\rangle~=~1\\ \langle+|-\rangle~&=~\langle-|+\rangle~=~0\end{aligned}\]

De la sorte, si la projection de l’état est : \[\langle+|\alpha\rangle=\cos\alpha\]

le carré de cette projection donnera la probabilité que le photon traverse le polaroïd.

Si l’on veut connaître à présent la probabilité que le photon, préparé dans un état de polarisation \(\alpha\) soit détecté après passage par un deuxième analyseur dont l’axe optique fait un angle \(\beta\) avec celui du polariseur, on trouvera la projection du vecteur \(|\alpha\rangle\) sur l’état final \(|\beta\rangle\), qui peut s’écrire, en considérant la relation de fermeture : \[\langle\beta|\alpha\rangle=\langle\beta|+\rangle~\langle+|\alpha\rangle+\langle\beta|-\rangle~\langle-|\alpha\rangle=\cos(\beta-\alpha)\]

La probabilité demandée sera alors : \[|\langle\beta|\alpha\rangle|^2=\cos^2(\beta-\alpha)\]

C’est le fait de devoir faire la projection d’un état préparé sur un état observable qui conduit, dans le calcul de la probabilité, à une interférence entre les deux états possibles.

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