1. Deuxième postulat
Le deuxième postulat de la mécanique quantique nous permettra de définir un être mathématique qui décrira la grandeur physique susceptible d’être mesurée appelée encore observable. Un observable (variable dynamique) sera représenté par un opérateur linéaire autoadjoint (appelé encore hermitique) défini sur l’espace \(\mathcal{H}\) de Hilbert des vecteurs d’état du système physique.
Il existe donc une modification radicale des règles de la mécanique. Si les concepts de position, de quantité de mouvement, etc. subsistent obligatoirement en mécanique quantique, ce sera toutefois avec une expression mathématique et dans un sens physique profondément différents.
2. Troisième postulat
Un autre élément essentiel doit être introduit : celui dit de la règle de correspondance. Cette règle va permettre, une fois connue la description théorique de l’état et des propriétés d’un système :
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d’établir le lien entre cette description et les résultats des mesures concrètes, d’une part ;
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de représenter les expériences réelles auxquelles est soumis le système, d’autre part.
Il s’agit de savoir ce que prédit la théorie pour la valeur d’une variable dynamique dans un certain état du système.
En mécanique classique, cette règle est quasi évidente. La valeur (théorique) d’une variable dynamique, fonction des positions et des vitesses du système, est la valeur numérique que prend cette fonction pour les valeurs numériques des positions et des vitesses dans l’état du système.
En mécanique quantique, les choses sont un peu plus compliquées. Les règles de présentation s’appuient sur l’ensemble \(\{\lambda_a\}\) des valeurs propres appelé encore spectre et des vecteurs propres \(\Phi_a\) d’un opérateur autoadjoint \(A\) dans un espace de Hilbert : \[A~\Phi_a=\lambda_a~\Phi_a\]
Les valeurs propres d’un opérateur autoadjoint sont réelles.
Le spectre des valeurs propres peut être discret ou continu (dans ce cas le formalisme mathématique doit être raffiné) ou bien comporter à la fois une partie continue et une partie discrète.
L’importance des opérateurs autoadjoints, en fait plus pratique que fondamentale, ne tient pas tant à la réalité de leur spectre qu’aux propriétés de leurs vecteurs propres. En effet, l’ensemble des vecteurs propres \(\{\Phi_a\}\) d’un opérateur \(A\) autoadjoint forme, une fois ces vecteurs normalisés, une base orthonormée.
N’importe quel vecteur \(\Psi\in\mathcal{H}\) de l’espace de Hilbert s’exprimera donc sous la forme d’une combinaison linéaire de ces vecteurs de base, avec pour coefficients ses projections sur ces vecteurs, c’est-à-dire les produits scalaires correspondants. En d’autres termes : \[\Psi=\sum_a \lambda_a~\Phi_a\qquad\text{avec :}\quad \lambda_a=(\Psi,~\Phi_a) \qquad\text{projection de }\Psi\text{ sur }\Phi_a\]
3. Règle de correspondance
Les valeurs possibles d’une propriété physique, représentée par un opérateur autoadjoint \(A\), sont les valeurs propres \(\{\lambda_a\}\) de cet opérateur.
La mesure de la propriété représentée par l’opérateur \(A\) sur un système dans l’état représenté par le vecteur unitaire \(\Psi\) fournit l’une quelconque des valeurs propres \(\lambda_a\) de \(A\) avec une probabilité : \[P_{\Psi}(a)=|(\Psi,~\Phi_a)|^2\]
L’expérience des trous de Young peut être imaginée comme une mesure de la position d’arrivée des particules sur l’écran.
À cette propriété observable – la position – est associée un opérateur autoadjoint \(X\) dont le spectre est continu et comprend toutes les valeurs numériques possibles de position sur l’écran.
À chaque valeur propre \(\lambda_x\) correspond un vecteur propre \(\Phi_x\) tel que : \[X~\Phi_x=x~\Phi_x\]
représentant l’état physique d’une particule exactement localisée au point \(x\).
Si \(\Psi_1\) est le vecteur d’état d’une particule lorsque le trou \(T_1\) est seul ouvert, l’amplitude de la probabilité de la recevoir sur l’écran au point \(x\) a pour expression : \[f_1(x)=(\Psi_1,~\Phi_x)\]
De même, lorsque le trou \(T_2\) est seul ouvert : \[f_2(x)=(\Psi_2,~\Phi_x)\]
Enfin, si les deux trous sont ouverts, l’état de l’électron est représenté, d’après le principe de superposition par le vecteur : \[\Psi_{1,2}=\Psi_1+\Psi_2\]
de sorte que l’amplitude de probabilité apparaît comme la somme de deux amplitudes : \[f_{1,2}(\Psi_{1,2},~\Phi)=f_1(x)+f_2(x)\]
4. Vers les relations d’Heisenberg
Il est à présent possible de comprendre l’origine précise des relations de Heisenberg et de faire le lien entre le formalisme rigoureux et l’approche heuristique précédente.
D’après la règle de correspondance, un système physique ayant pour vecteur d’état un vecteur propre d’un certain opérateur \(A\) est caractérisé par une valeur numérique déterminée de l’observable en question à savoir la valeur propre correspondante. Nous savons qu’il s’agit de la probabilité : \[P_{\Psi}(a)=|(\Psi,~\Phi_a)|^2\]
Elle est de 1 pour cette valeur propre en question et de 0 pour toutes les autres valeurs propres. Il en résulte la remarque suivante :
Pour pouvoir être caractérisé par des valeurs bien déterminées de plusieurs observables, un système physique doit posséder un vecteur d’état qui soit simultanément vecteur propre de tous les opérateurs correspondants.
C’est en général pratiquement impossible, chaque opérateur ayant son propre ensemble de vecteurs propres.
On montre que deux opérateurs ont les mêmes vecteurs propres si, et seulement si, ils commutent. Ce qui revient à dire que l’on doit obtenir un même résultat, quel que soit l’ordre dans lequel on applique ces opérateurs à un vecteur de l’espace de Hilbert. On est ainsi amené à définir et introduire ce que l’on appelle le commutateur de deux opérateurs quelconques \(A\) et \(B\) : \[[A,~B]=A~B-B~A\]
Si ce commutateur est nul, cela signifiera que les deux observables correspondant à \(A\) et \(B\) pourront prendre simultanément des valeurs bien déterminées.
Mais il n’existe, pour tout système physique, qu’un nombre limité de tels opérateurs qui commutent (non uniquement défini par ailleurs). On ne doit donc pas s’attendre que puissent être simultanément déterminées toutes les observables d’intérêt. En particulier, les observables de position \(X\) et de quantité de mouvement \(P\) obéissent à la relation de commutation canonique : \[[X,~P]=i~\hbar~I\]
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\(I\) est l’opérateur identité ;
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\(\hbar=\cfrac{h}{2\pi}\) est la constante de Planck normalisée.
Grâce à cette relation, la relation de Heisenberg peut être rigoureusement démontrée : \[\Delta p~\Delta x~\geq~h\]
Celle-ci exprime bien une impossibilité d’états physiques définis simultanément en position et en quantité de mouvement.
Dans la pratique, on repère les états d’un système physique par rapport à une base de l’espace de Hilbert formée de vecteurs propres communs à un certain ensemble d’opérateurs, commutant entre eux et choisis pour leur intérêt physique.
Parmi eux figure presque toujours l’opérateur d’énergie, ou hamiltonien. En effet, on a déjà vu, en étudiant la relation de Heisenberg temporelle, que les états stationnaires d’un système physique sont les états d’énergie bien définis, c’est-à-dire les états propres de l’opérateur correspondant.
Le calcul des énergies possibles d’un système, ou valeurs propres de l’opérateur d’énergie (on parle de diagonalisation de cet opérateur), constitue le moment principal de toute une classe de problèmes quantiques.
Ainsi, le calcul théorique des fréquences des raies d’émission lumineuse des atomes, ou théorie de la spectroscopie atomique, repose-t-il sur le calcul des niveaux d’énergie des atomes. Le spectre d’énergie d’un système physique constitue souvent un bon exemple de spectre mixte, comportant une partie discrète et une partie continue.
Quand il existe, le spectre discret (niveaux d’énergie séparés, dénombrables) correspond aux états liés du système physique, ceux où ses divers constituants restent groupés sous l’effet de forces attractives. Le spectre continu, lui, correspond aux états de diffusion, qui décrivent l’interaction entre deux systèmes se rapprochant depuis une distance infinie puis s’éloignant à nouveau : c’est le type d’expérience pratiqué à l’aide d’accélérateurs de particules, par exemple.
5. Un exemple classique d’opérateur
Pour montrer un exemple de ce qui précède, faisons un petit tour en optique physique vers l’équation de Schrödinger.
Rappelons la définition classique de l’énergie : \[E=E_c+E_p=\frac{1}{2~m}~(p_x^2+p_y^2+p_z^2)+V(x,~y,~z)\]
Nous en avons déduit l’expression, dans le domaine quantique, de l’équation de Schrödinger appliquée à une fonction d’onde \(\Psi\) : \[\frac{\partial^2\Psi}{\partial x^2}+\frac{\partial^2\Psi}{\partial y^2}+\frac{\partial^2\Psi}{\partial z^2}+\frac{2~m}{\hbar^2}~(E-V)~\Psi=0\]
De manière plus symbolique, nous pouvons écrire l’équation sous la forme : \[E~\Psi=-\Big\{\frac{1}{2~m}~\Big(\hbar^2~\frac{\partial^2}{\partial x^2}+\hbar^2~\frac{\partial^2}{\partial y^2}+\hbar^2~\frac{\partial^2}{\partial z^2}\Big)-V(x,~y,~z)\Big\}~\Psi\]
De manière symbolique et assimilant la dérivation seconde à une élévation au carré, nous pourrons écrire : \[E~\Psi=\Big\{\frac{1}{2~m}~\Big(\frac{\hbar}{j}~\frac{\partial}{\partial x}\Big)^2+ \frac{1}{2~m}~\Big(\frac{\hbar}{j}~\frac{\partial}{\partial y}\Big)^2+ \frac{1}{2~m}~\Big(\frac{\hbar}{j}~\frac{\partial}{\partial z}\Big)^2+V\Big\}~\Psi \quad;\quad j^2=-1\]
Revenant à la toute première expression, on écrit l’équation classique donnant la grandeur cherchée en fonction de \(x,~y,~z\) et des impulsions \(p_x,~p_y,~p_z\) et on remplace les composantes de l’impulsion par les opérateurs différentiels : \[p_x=\frac{\hbar}{j}~\frac{\partial}{\partial x}\quad;\quad p_y=\frac{\hbar}{j}~\frac{\partial}{\partial y}\quad;\quad p_z=\frac{\hbar}{j}\frac{\partial}{\partial z}\]
Considérons le symbolisme [\(p_x.x\)] : \[p_x.x\quad\rightarrow\quad\frac{\hbar}{j}~\frac{\partial}{\partial x}~x\]
Appliquons-le à \(\Psi\) en faisant toujours attention à l’aspect conventionnel : \[\frac{\hbar}{j}~\frac{\partial}{\partial x}~x.\Psi= \frac{\hbar}{j}~\frac{\partial\Psi}{\partial x}~x+\frac{\hbar}{j}~\Psi\]
Considérons à présent le symbolisme [\(x.p_x\)] : \[x.p_x\quad\rightarrow\quad x~\frac{\hbar}{j}~\frac{\partial}{\partial x}\]
Appliquons-le à \(\Psi\) : \[x~\frac{\hbar}{j}~\frac{\partial\Psi}{\partial x}=\frac{\hbar}{j}~x~\frac{\partial\Psi}{\partial x}\]
On trouvera donc : \[\{x.p_x-p_x.x\}\quad\rightarrow\quad-\frac{\hbar}{j}~\Psi\]
Les deux grandeurs ne commutent donc pas.
Par contre : \[\{p_x.y-y.p_x\}\quad\rightarrow\quad 0\]
Cette fois, les deux grandeurs commutent.