1. Notion d’incertitude
Il est important, en sciences physiques, d’avoir la meilleure idée possible d’un phénomène dans sa manière de varier, d’évoluer, et surtout d’avoir une idée de l’ordre de grandeur de ce phénomène quand il s’agit de quantifier.
Effectuons une mesure expérimentale ou bien appliquons une formule. En toute rigueur et en bonne physique, on doit admettre que le résultat de l’une ou de l’autre ne peut être affirmé qu’avec ce que l’on pourrait appeler un certain degré d’incertitude.
Chaque valeur numérique de paramètre est généralement supposée entachée d’une erreur plus ou moins grande. Ce sera le plus souvent une erreur dans la mesure liée à la performance de l’appareillage.
L’exemple le plus élémentaire existe déjà pour le jeune élève qui va utiliser son double-décimètre pour mesurer la longueur d’un segment de droite. Que faire quand le trait ne tombe pas exactement sur une graduation ? Choisir la graduation immédiatement inférieure auquel cas la mesure est exprimée avec une erreur par défaut ? Choisir la graduation supérieure auquel cas la mesure est exprimée avec une erreur par excès ?
Quand un physicien écrit volontairement \(x=42,00~\rm mm\) et non pas \(x=42~\rm mm\), il laisse entendre que le résultat n’est exact qu’à la deuxième décimale près. Il pourrait écrire d’une autre manière : \[x=42~\pm~0,01~\rm mm\qquad\text{ou encore}\qquad 41,09~\rm mm<x<42,01~\rm mm\]
En adoptant une notation plus moderne (incertitude quantifiée sur le dernier chiffre) : \[x=42,00~(1)~\rm mm\]
Il dira encore que la plage d’erreur est de \(0,02~\rm mm\).
Le problème qui se pose dans un deuxième temps est celui de la propagation de l’erreur, quand il s’agit d’une formule plus compliquée.
Avant de traiter ce problème, il est important de connaître les formules d’approximation permettant de « séparer » l’infiniment petit, l’élément fondamental dans l’erreur. Comme on parle de mesure à la \(1^{re}\) décimale, à la \(2^{me}\) décimale près, etc., on parlera d’infiniment petit d’ordre 1, 2 ou 3, etc.
2. Procédés mathématiques d’approximation
La formule de Taylor et Mac Laurin exprime la valeur d’une fonction (supposée ici indéfiniment dérivable) au voisinage immédiat du point \(x_0\) (accroissement \(h\) très petit) : \[f(x_0+h)=f(x_0)+\frac{h}{1!}~f'(x_0)+\frac{h^2}{2!}~f''(x_0)+\dots+\frac{h^n}{n!}~f^{(n)}(x_0)+\varepsilon\quad\rightarrow\quad 0\]
On peut remarquer que, pour \(h = 0\), on retrouve le résultat trivial attendu.
Dans sa mesure, le physicien ne retiendra que 2, 3, 4 termes, etc., suivant la précision requise pour l’expérience. Ce sont des développements d’ordre 1, 2, 3, etc.
Deux développements remarquables, avec {\(-1<x<+1\quad;\quad|x| \ll 1\)}
\[\begin{aligned} (1+x)^m&=1+\frac{m}{1 !}~x+\frac{m(m-1)}{2 !}~x^2+\cdots\\ \ln(1+x)&=x-\frac{x^2}{2}+\frac{x^3}{3}-\frac{x^4}{4}+\cdots\end{aligned}\]
Il s’agit du développement de la fonction puissance et celui de la fonction logarithme au voisinage de la valeur 1 de la variable, x étant un infiniment petit.
L’approximation du binôme à l’ordre 1 est très fréquente sous des formes diverses: \[(1+\varepsilon)^n\approx 1+n\varepsilon\quad;\quad\varepsilon\ll 1\]
3. Développement de l’exponentielle
Dans le prolongement du développement de Taylor, on sait que \(\forall x \ll 1\) et à l’ordre n : \[e^x~=~\exp(x)=1+\frac{x}{1 !}+\frac{x^2}{2 !}+\dots+\frac{x^n}{n!}\]
Partant ensuite de la formule d’Euler : \[e^{jx}~=~\exp(jx)=\cos(x)+j~\sin(x)\]
On sait que l’on est conduit aux fonctions circulaires (paire et impaire) :
\[\begin{aligned} &\cos(x)=Re\{\exp(jx)=1-\frac{x^2}{2 !}+\frac{x^4}{4 !}+\cdots\\ &\sin(x)=Im\{\exp(jx)=x-\frac{x^3}{3 !}+\frac{x^5}{5 !}+\cdots\end{aligned}\]
On rappelle que, avec \(\varepsilon\ll 1\) :
\[\begin{aligned} &\exp(\varepsilon)\approx 1+\varepsilon\\ &\sin(\varepsilon)\approx\varepsilon\quad;\quad\cos(\varepsilon)\approx 1\end{aligned}\]
4. Erreur absolue et erreur relative
On mesure une quantité \(x\). La mesure est annoncée comme de valeur \(x_0\).
Si l’appareillage induit une imprécision \(\Delta x\) (par exemple une longueur à 1 mm près), nous dirons que l’erreur absolue de mesure est \(\Delta x\) et nous exprimerons la quantité \(x\) par \(x=x_0\pm\Delta x\).
Nous dirons que \(x_0\) est la valeur nominale et que \(x\) est connue à \(\Delta x/x_0\) près.
Cette quantité, exprimée en pourcentage, est ce que l’on appelle l’erreur relative.
On notera l’obligation du double signe (\(\pm\)).
5. Erreur relative et dérivée logarithmique
5.1. Principe
Il y a une analogie entre l’élément différentiel \(dx\) et l’écart \(\Delta x\). C’est la raison pour laquelle le calcul d’erreur à partir d’un calcul différentiel ou de dérivée (logarithmique) est pratique.
Pour fixer les idées, prenons le cas du calcul du volume d’un parallélépipède (\(V=L\cdot l\cdot h\)) dont on suppose par exemple que les longueurs sont connues à \(\varepsilon=\Delta x\) près.
On écrira successivement :
\[\begin{aligned} \log(V)&=\log(L)+\log(l)+\log(h)\\ \frac{dV}{V}&=\frac{dL}{L}+\frac{dl}{l}+\frac{dh}{h}=\varepsilon~\Big(\frac{1}{L}+\frac{1}{l}+\frac{1}{h}\Big)\end{aligned}\]
Prenons à présent le cas non plus de simples variables mais de fonctions, par exemple : \[F[U(x),V(y),W(z)]=k~U(x)~V(y)~W(z)\]
dont la dérivée logarithmique est : \[\frac{dF}{F}=\frac{U'dx}{U}+\frac{V'dy}{V}+\frac{W'dz}{W}=\frac{dU}{U}+\frac{dV}{V}+\frac{dW}{W}\]
Par suite : \[\frac{\Delta F}{F}=\frac{\Delta U}{U}+\frac{\Delta V}{V}+\frac{\Delta W}{W}\]
Exemple classique du pendule simple
L’expression exacte \(T=T_0\) de la période d’un pendule de longueur exacte \(l=l_0\) est donnée par : \[T_0=2\pi~\sqrt{\frac{l_0}{g}}\]
Nous supposons qu’il y a incertitude sur la longueur \(l\) et nous recherchons l’erreur relative sur la période.
Effectuant la dérivation logarithmique :
\[\begin{aligned} T&=2\pi\sqrt{\frac{l}{g}}\\ \frac{dT}{T}&=\frac{1}{2}~\frac{dl}{l}\quad\Rightarrow\quad\frac{\Delta T}{T_0}=\frac{1}{2}~\frac{\Delta l}{l_0}\end{aligned}\]
5.2. Cas des grandeurs non indépendantes
Nous avons dit que le calcul d’erreur s’appuyait sur les expressions des dérivées logarithmiques. Il suffisait de passer de l’expression mathématique, donc de ces dérivées logarithmiques, à l’expression physique en introduisant des valeurs absolues.
Ainsi, l’expression différentielle logarithmique : \[\frac{dx}{x}=\alpha~\frac{da}{a}+\beta~\frac{db}{b}+\gamma~\frac{dc}{c}\]
devient : \[\frac{\Delta x}{x}=\Big|\alpha~\frac{\Delta a}{a}\Big|+\Big|\beta~\frac{\Delta b}{b}\Big|+\Big|\gamma~\frac{\Delta c}{c}\Big|\]
Si a, b et c ne sont pas des grandeurs indépendantes, il faudra, avant de prendre les modules, séparer les termes indépendants de l’erreur. Pour mieux le comprendre, considérons l’exemple classique de la mesure de l’indice de réfraction d’une substance mesurée par la méthode du prisme : \[n=\frac{\sin\cfrac{A+D_m}{2}}{\sin\cfrac{A}{2}}\qquad\text{pour}\quad \hat{A}=60^o\]
On fait l’hypothèse d’erreurs identiques sur les deux mesures : \(\Delta A=\Delta D_m=1'\)
Tous calculs faits : \(n=1,336~25\)
Les erreurs sur le numérateur et le dénominateur ne sont plus indépendantes puisque A y figure explicitement dans les deux.
Effectuons la dérivation logarithmique (forme différentielle) : \[n=\frac{u(\varphi)}{v(\psi)}\quad\Rightarrow\quad\frac{dn}{n}=\frac{u'~d\varphi}{u}+\frac{v'~d\psi}{v}\]
On a donc :
\[\begin{aligned} &\frac{dn}{n}=\frac{1}{2}\Big\{(dA+dD_m)~\cot\frac{A+D_m}{2}-dA~\cot\frac{A}{2}\Big\} \\ &\frac{dn}{n}=\frac{1}{2}\Big\{dA~\big(\cot\frac{A+D_m}{2}-\cot\frac{A}{2}\big)+dD_m~\cot\frac{A+D_m}{2}\Big\}\end{aligned}\]
La valeur absolue de l’expression entre accolades sera: \[\Big|\cot\frac{A+D_m}{2}-\cot\frac{A}{2}\Big|=\cot\frac{A+D_m}{2}-\cot\frac{A}{2}\]
car la cotangente est une fonction décroissante de l’angle.
De sorte que : \[\frac{\Delta n}{n}=\frac{\varepsilon}{2}\cot\frac{A}{2}=\frac{3~\sqrt{3}}{20~000}\approx 2,6\times 10^{-4}\]
On a alors : \[\Delta n=3,5\times 10^{-4}\quad\Rightarrow\quad \begin{aligned} &n=1,336~25~\pm~0,000~35 \\ &n=1,336~25~(35) \end{aligned}\]
C’est-à-dire : \[1,3359<n<1,3366\]