XXIV. Systèmes hétérogènes sans réaction chimique

Potentiels chimiques : systèmes homogènes, relation de Gibbs-Duhem. Système hétérogène : déséquilibre chimique, variance d'un système chimique, règle des phases.

1. Introduction

Un système chimique formé d’un ensemble de phases homogènes distinctes constitue un système hétérogène. Les diverses phase homogènes que nous aurons à considérer sont séparées les unes des autres par des surfaces de discontinuité à la traversée desquelles les propriétés de la matière varient de façon discontinue (nous n’envisageons pas ici de changements d’état de seconde espèce).

Nous n’étudierons pas les surfaces de discontinuité elles-mêmes et négligerons les phénomènes capillaires qui s’y produisent ; nous supposerons nulle la quantité de matière contenue dans les surfaces de discontinuité. Enfin, nous supposerons, pour le moment, qu’aucune réaction chimique ne peut avoir lieu entre les divers corps constituant le système.

Ces corps, ou constituants du système, sont en nombre \(c\) et nous les repèrerons par des indices \(i\) allant de \(1\) à \(c\). Nous désignerons par \(\varphi\) le nombre des phases et repèrerons ces phases par des exposants \(k\) allant de \(1\) à \(\varphi\).

2. Potentiels chimiques

2.1. Système homogène

Nous supposerons pour commencer que le système se limite à une seule phase \((\varphi=1)\), mais que cette phase est ouverte, c’est-à-dire que l’on peut varier à volonté, de façon réversible, le nombre de moles des divers constituants qu’elle contient. L’opération pourra être effectivement réalisée à l’aide de cloisons hémiperméables (une pour le passage de chacun des constituants, soit \(c\) en tout) et de corps de pompe.

Soient \(n_1,~n_2,~\dots,~n_i,~\dots,~n_c\) les nombres de moles des divers constituants dans la phase. Les \(n_i\) doivent maintenant être considérés comme des variables et la fonction de Gibbs \(G\) de la phase est : \[G=G(n_1,~n_2,~\dots,~n_i,~\dots,~n_c,~p,~T)\]

Pour toute variation de l’état de la phase définie par :

\[\begin{aligned} p\rightarrow p+dp\quad&;\quad T\rightarrow T+dT\\ n_1\rightarrow n_1+dn_1\quad&;\quad\dots\quad;\quad n_c\rightarrow n_c+dn_c\end{aligned}\]

la variation de Gibbs est : \[dG=\Big(\frac{\partial G}{\partial n_1}\Big)_{sauf~n_1}~dn_1+\dots+\Big(\frac{\partial G}{\partial p}\Big)_{sauf~p}~dp+\Big(\frac{\partial G}{\partial T}\Big)_{sauf~T}~dT\]

Les deux dernières dérivées partielles correspondent à des variations de pression ou de température à composition constante. Nous savons que dans ce cas : \[\Big(\frac{\partial G}{\partial p}\Big)_{sauf~p}=v\quad;\quad \Big(\frac{\partial G}{\partial T}\Big)_{sauf~T}=-S\]

Nous poserons, en outre : \[\Big(\frac{\partial G}{\partial n_i}\Big)_{sauf~n_i}=\mu_i\]

et désignerons \(\mu_i\) sous le nom de potentiel chimique du constituant n° \(i\) dans la phase.

Nous écrirons alors l’expression de \(dG\) sous la forme : \[dG=\sum_i\mu_i~dn_i+v~dp-S~dT\]

Envisageons alors une modification des \(n_i\), à pression et température constante, qui ne change pas les concentrations des divers constituants. Il nous suffit pour cela de donner à chacun des \(n_i\) un accroissement proportionnel à \(n_i\), soit : \[dn_1=n_1~d\varepsilon\quad;\quad \dots\quad;\quad dn_c=n_c~d\varepsilon\]

\(p\) et\(T\) restant constants, l’accroissement de la fonction de Gibbs est : \[dG=\sum_i\mu_i~dn_i=d\varepsilon~\sum_i\mu_i~n_i\]

Dans cette opération, nous avons tout simplement construit une petite quantité supplémentaire de la phase initiale, dont la masse est \(d\varepsilon\) fois la masse initiale et qui possède exactement les mêmes propriétés. La fonction de Gibbs de ce petit supplément de phase est évidemment \(dG=G~d\varepsilon\), de sorte que la fonction de Gibbs de l’ensemble de la phase s’est accrue de \(dG=G~d\varepsilon\).

Comparant à l’autre expression de \(dG\), nous obtenons l’équation fondamentale : \[G=\sum_i\mu_i~n_i\]

2.2. Relation de Gibbs-Duhem

Il résulte de ce que nous avons écrit que les potentiels chimiques ne dépendent que des concentrations des divers constituants (ainsi que de \(p\) et \(T\)) et ne dépendent pas de la masse totale de la phase. Ce sont donc des quantités intensives, au même titre que \(p\) et \(T\) par exemple.

Or, il y a \(c\) constituants, mais il suffit de connaître \((c-1)\) concentrations pour connaître la composition chimique de la phase. Il y a également \(c\) potentiels chimiques, mais ceux-ci sont fixés dès que l’on connaît les \((c-1)\) concentrations, \(p\) et \(T\) étant supposés fixés. L’ensemble des \((c+2)\) quantités que constituent la pression, la température et les \(c\) potentiels chimiques est donc fixé sans ambigüité par la connaissance des \((c+1)\) quantités pression, température et les \((c-1)\) concentrations.

Ceci impose que les \((c+2)\) quantités \(\mu_i,~p,~T\) soient liées par une relation. Cherchons cette relation.

Nous considérons dans ce but la modification d’état la plus générale, conduisant à une variation de la fonction de Gibbs : \[dG=\sum_i\mu_i~dn_i+v~dp-S~dT\]

soit, compte tenu de l’expression \(G=\sum_i\mu_i~n_i\) : \[dG=\sum_i\mu_i~dn_i+\sum_i n_i~d\mu_i\]

et en comparant les deux expressions : \[\sum_in_i~d\mu_i-v~dp+S~dT=0\]

Cette relation fondamentale est la relation de Gibbs-Duhem.

Pour toute variation des concentrations à température et pression constantes, la relation de Gibbs-Duhem se simplifie et s’écrit : \[\sum_i n_i~d\mu_i=0\]

que l’on peut aussi écrire en introduisant les concentrations moléculaires des divers constituants dans la phase : \[\sum_i x_i~d\mu_i=0\quad;\quad x_i=\frac{n_i}{\sum_i n_i}\]

3. Système hétérogène

Le système est constitué de \(\varphi\) phases homogènes et contient \(c\) constituants. Les constituants peuvent passer librement d’une phase à l’autre, de sorte que le nombre de moles de chacun des constituants que contiennent les différentes phases n’est pas imposé. Seul doit rester constant le nombre de moles de chacun des constituants que contient l’ensemble du système.

Nous nous proposons d’étudier les conditions de l’équilibre thermodynamique d’un tel système, la pression extérieure \(p\) et la température \(T\) du milieu extérieur avec lequel le système est en contact thermique étant imposées et fixes.

L’équilibre thermodynamique exige tout d’abord l’équilibre mécanique et l’équilibre thermique ; si nous supposons qu’aucune enceinte rigide n’enferme les diverse phases, l’équilibre mécanique exige qu’elles soient toutes à la même pression \(p\), l’équilibre thermique qu’elles soient toutes à la même température \(T\). L’état de la phase n° \(k\) pourra alors être complètement défini par \(T,~p\) et le nombre de moles des divers constituants que contient cette phase.

Nous désignerons par \(n_i^k\) le nombre de moles du constituant n° \(i\) que contient la phase n° \(k\). Nous désignerons en outre par \(\mu_i^k\) le potentiel chimique du constituant n° \(i\) dans la phase n° \(k\).

Nous savons alors que la fonction de Gibbs de la phase n° \(k\) est : \[G^k=\sum_i \mu_i^k~n_i^k\]

Cherchons la fonction de Gibbs de l’ensemble du système. \(p\) et \(T\) sont communs à toutes les phases, l’enthalpie du système est la somme des enthalpies des diverses phases, de même pour l’entropie ; la fonction de Gibbs du système est donc la somme des fonctions de Gibbs des diverses phases soit : \[G=\sum_k G^k=\sum_i \sum_k \mu_i^k~n_i^k\]

Nous savons par ailleurs que l’équilibre d’un système chimique maintenu à pression et température constantes a lieu lorsque la fonction de Gibbs a la valeur minimum compatible avec les liaisons imposées. Ceci impose qu’une fois l’équilibre atteint, toute modification de composition des diverses phases caractérisée par un ensemble de variations virtuelles \(dn_i^k\) des diverses quantités \(n_i^k\) doit laisser stationnaire la fonction \(G\).

Cependant, l’ensemble des modifications \(dn_i^k\) n’est pas un ensemble de modifications indépendantes. En effet, la quantité totale de chacun des constituants que contient l’ensemble du système reste constante. On a donc :

  • \(\sum_kdn_1^k=N_1\) : nombre total de moles du constituant n° \(1\) ;

  • \(\sum_kdn_i^k=N_i\) : nombre total de moles du constituant n° \(i\) ;

  • etc.

Il en résulte que la recherche de l’équilibre se ramène à la recherche des conditions telles que \(dG\) soit nul pour tout ensemble des \(dn_i^k\) laissant invariable la masse totale de chacun des constituants du mélange : \[dG=\sum_kdG^k=\sum_i\mu_i^1~dn_i^1+\dots+\sum_i\mu_i^k~dn_i^k+\dots+\sum_i\mu_i^{\varphi}~dn_i^{\varphi}\]

que l’on peut aussi écrire : \[dG=\sum_k\mu_1^k~dn_1^k+\dots+\sum_k\mu_i^k~dn_i^k+\dots+\sum_k\mu_c^k~dn_c^k\]

Cette forme différentielle doit s’annuler pour tout ensemble \(dn_i^k\) satisfaisant aux relations restrictives : \[\sum_kdn_1^k=0~~;~~\dots~~;~~\sum_idn_1^k=0~~;~~\dots~~;~~\sum_kdn_c^k=0\]

Appliquant la méthode des multiplicateurs de Lagrange, nous voyons qu’il faut alors qu’il existe des quantités \(\mu_1,~\mu_i,~\mu_c\) telles que la forme différentielle : \[\sum_k(\mu_1^k-\mu_1)~dn_1^k+\dots+\sum_k(\mu_i^k-\mu_i)~dn_i^k+\dots+\sum_k(\mu_c^k-\mu_c)~dn_c^k\]

s’annule pour un ensemble quelconque de \(dn_i^k\).

Ceci exige que tous les coefficients des \(dn_i^k\) soient nuls, c’est à dire :

\[\begin{aligned} &\mu_1^1=\mu_1^2=\dots=\mu_1^k=\dots=\mu_1^{\varphi}=\mu_1\\ &\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots \\ &\mu_1^i=\mu_i^2=\dots=\mu_i^k=\dots=\mu_i^{\varphi}=\mu_i\\ &\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots \\ &\mu_c^1=\mu_c^2=\dots=\mu_c^k=\dots=\mu_c^{\varphi}=\mu_c\end{aligned}\]

L’équilibre thermodynamique exige donc que chaque constituant ait le même potentiel chimique dans toutes les phases. Ce résultat d’importance fondamentale est à la base de toutes les applications de la thermodynamique à l’équilibre des systèmes chimiques.

3.1. Déséquilibre chimique

Nous allons maintenant étudier ce qui se passe lorsque le système est en équilibre mécanique et thermique, mais en déséquilibre chimique, le potentiel chimique des divers constituants variant d’une phase à l’autre. Nous pouvons alors maintenir indéfiniment le système en équilibre en enfermant chaque phase dans une membrane infiniment souple et diatherme, mais imperméable aux divers constituants, ce qui empêche les passages de substance d’une phase à l’autre.

En fait, évidemment, cette membrane n’existe pas et le système évolue par passage des constituants d’une phase vers l’autre. Nous allons étudier le sens de ce passage en nous arrangeant pour limiter cet échange à un seul constituant passant d’une phase déterminée à une autre phase déterminée.

Supposons qu’il s’agisse du constituant n° \(i\) et que nous voulons lui permettre de passer de la phase 1 à la phase 2 ou inversement, en interdisant tout autre échange entre phases. Il nous suffira de remplacer une partie de la membrane imperméable séparant les phases 1 et 2 par une petite cloison hémiperméable (perméable au seul constituant \(n^i\)) infiniment souple et diatherme.

La pression \(p\) et la température \(T\) étant maintenues constantes, les seules modifications que nous pouvons envisager pour le système consisteront dans le passage d’une certaine quantité du constituant \(i\) de la phase 1 à la phase 2 ou de la phase 2 à la phase 1, à travers cette cloison.

Cherchons alors dans quel sens va se produire le passage. Désignons par \(\delta n_i\) le nombre de moles qui passent de la phase 0 à la phase 1 (à priori \(\delta n_i\) pourrait être positif ou négatif). Le second principe exige alors que, si le passage est naturel, il doit en résulter une diminution de la fonction de Gibbs du système.

Or, seules les fonctions de Gibbs des phases 1 et 2 changent dans cette opération de sorte que : \[\delta G=\delta G^1+\delta G^2=\mu_i^1~(-\delta n_i)+\mu_i^2~(\delta n_i)\]

Le signe de \(\delta n_i\) sera tel que : \[\delta G<0\qquad\text{donc :}\quad (u_i^1-\mu_i^2)~\delta n_i>0\]

\(\delta n_i\) sera positif et le constituant \(i\) passera de la phase 1 à la phase 2 si \(\mu_i^1>\mu_i^2\). Il passera de la phase 2 à la phase 1 si \(\mu_i^2>\mu_i^1\) .

Chacun des constituants tend donc à quitter les phases où son potentiel est élevé pour passer dans les phases où son potentiel chimique est faible ; l’équilibre a lieu quand chacun des constituants a le même potentiel chimique dans toutes les phases, car \(i\) a alors tendance à s’échapper de toutes les phases.

C’est exactement la même chose qui se passe pour un gaz qui a tendance à s’échapper des régions où sa pression est élevée pour aller dans les régions où sa pression est faible ; nous verrons bientôt qu’une quantité directement dérivée du potentiel chimique, la fugacité du constituant, constitue l’analogue exact de la pression d’un gaz.

3.2. Variance d’un système chimique. Règle des phases.

Supposons que nous sachions, connaissant la pression, la température et la composition chimique d’une phase, calculer les potentiels chimiques de ses divers constituants. Nous serions dès lors en mesure de rechercher mathématiquement les concentrations des divers constituants dans les diverses phases, ainsi que la pression commune \(p\) et la température commune \(T\) qui conduisent à l’équilibre thermodynamique du système.

Nous allons chercher si le problème possède une solution et, dans l’affirmative, de combien de degrés de liberté dépend encore la solution.

Nous supposerons dès lors explicités, en fonction des concentrations moléculaires, de la pression \(p\) et de la température \(T\), les divers potentiels chimiques. Il y a \(\varphi\) phases, \(c\) constituants, donc \(\varphi~c\) potentiels chimiques de la forme : \[\mu_i^k=\mu_i(T,~p,x_1^k,~\dots,~x_c^k)\]

L’équilibre exige:

\[\begin{aligned} &\mu_1^1=\mu_1^2=\dots=\mu_1^k=\dots=\mu_1^{\varphi}\qquad(\varphi-1)~\text{équations}\\ &\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots \\ &\mu_1^i=\mu_i^2=\dots=\mu_i^k=\dots=\mu_i^{\varphi}\qquad(\varphi-1)~\text{équations}\\ &\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots \\ &\mu_c^1=\mu_c^2=\dots=\mu_c^k=\dots=\mu_c^{\varphi}\qquad(\varphi-1)~\text{équations}\end{aligned}\]

Ce qui correspond à \(c~(\varphi-1)\) équations dont les inconnues sont les \(x_i^j,~p,~T\)), soit en tout \((\varphi~c+2)\) inconnues à ajuster. Toutefois, ces inconnues ne sont pas toutes indépendantes et doivent satisfaire aux conditions évidentes : \[\left\{ \begin{aligned} &x_1^1+x_2^1+\dots+x_c^1=1\\ &\dots\dots\dots\dots\dots\dots\dots\qquad\qquad\varphi\quad\text{équations de contraintes} \\ &x_1^{\varphi}+x_2^{\varphi}+\dots+x_c^{\varphi}=1 \end{aligned} \right.\]

puisque la somme des concentrations moléculaires dans chaque phase est égale à 1.

Les variables \(x_i^k,~p,~T\) en nombre \((\varphi~c+2)\) doivent donc satisfaire à \(c~(\varphi-1)\) équations d’équilibre et \(c~(\varphi-1)+\varphi\) équations de contrainte soit en tout à \(c~(\varphi-1)+\varphi\) équations. Le problème n’a de solution que si le nombre de variables est supérieur au nombre d’équations, soit : \[c~\varphi+2-c~(\varphi-1)-\varphi>0\qquad\Rightarrow\qquad c+2-\varphi>0\]

Si la quantité \(V=c+2-\varphi>0\), le problème présente une indétermination d’ordre \(V\). Il est alors possible d’imposer au système \(V\) conditions supplémentaires et de trouver une solution.

Nous désignerons \(V\) sous le nom de variance du système ; c’est le nombre de variables de tension telles que concentration, pression ou température que l’on peut imposer arbitrairement sans que l’équilibre cesse d’être possible.

La variance d’un système chimique (en l’absence de réactions chimiques) est donc égale à : \[V=c+2-\varphi\]

\(c\) : nombre de constituants du système,

\(\varphi\) : nombre de phases distinctes présentes.

Exemples

  1. Un corps pur en phase homogène (gazeux par exemple) a une variance \(V=1+2-1=2\). C’est un système bivariant. On sait que l’on peut imposer arbitrairement la pression et la température d’un tel système, soit deux paramètres arbitrairement fixés.

  2. Un mélange liquide - vapeur (substance chimiquement pure) a une variance \(V=1+2-2=1\). C’est donc un système monovariant. Si l’on impose la température par exemple, la pression ne peut varier tant que l’équilibre subsiste.

  3. Un corps pur sous 3 états physiques, par exemple le mélange eau - glace - vapeur, présente une variance \(V=1+2-3=0\). C’est donc un système invariant. L’équilibre ne peut avoir lieu que pour des valeurs bien définies de la température et de la pression.

Il est impossible d’observer l’équilibre de systèmes à variance négative, car le problème de la recherche de l’équilibre contient alors plus d’équations que d’inconnues à ajuster. Par exemple, nous ne pourrons jamais observer à l’équilibre plus des 3 des 5 variétés connues de glace ou encore plus d’une variété de glace en présence d’eau et de vapeur d’eau. L’équilibre entre 4 phases ne pourra se produire et le système évoluera jusqu’à ce que l’une des phases ait disparu ; cette évolution peut être lente et difficilement visible, mais elle est inévitable.

La règle des phases, due à Gibbs, est extrêmement commode pour étudier les équilibres hétérogènes.

Remarque

Dans tout ce raisonnement, nous ne sous sommes pas préoccupés de la masse totale des diverses phases, puisque celle-ci n’intervient pas pour le calcul des potentiels chimiques. Nous avons donc laissé indéterminée la masse totale des divers constituants en sous-entendant seulement qu’elle reste constante pendant l’évolution vers l’équilibre, ce qui entraîne l’égalité des potentiels chimiques à l’équilibre.

Prenons maintenant le problème autrement et cherchons l’équilibre d’un système formé en mettant en présence un nombre de moles donné de chaque constituant. Nous pourrions exprimer les potentiels chimiques en fonction de \(T,~p\) et des nombres de moles des divers constituants que contient chaque phase, soit : \[\mu_i^k=\mu(n_1^k,~\dots,~n_c^k,~p,~T)\]

Nous aurions là encore \(c~(\varepsilon-1)\) équations d’équilibre liant les \(c~\varphi+2\) inconnues \(n_i^k,~p,~T\). Les équations de contrainte seraient alors les équations exprimant que le nombre total de moles de chaque constituant est imposé, soit \(c\) équations de contrainte. Il y aurait donc en tout \(c~\varphi+2\) inconnues et \(c~(\varphi-1)+c=c~\varphi\) équations, soit une indétermination d’ordre 2 pour la solution.

Tout système chimique de composition globale donnée dépend donc à l’équilibre de deux paramètres et il est en toute rigueur inexact de dire que la variance représente le nombre de paramètres dont dépend le système.

Faut-il en conclure que, pour tout système, on peut imposer deux paramètres quelconques et notamment la température et la pression ? Non, car si tout système chimique voit effectivement ses états d’équilibre dépendre de deux paramètres, ces deux paramètres ne comprennent pas toujours la température et la pression lorsque le nombre de phases que contient le système est imposé à priori.

En effet, les équations que nous avons écrites en exprimant les \(\mu_i^k\) ne peuvent servir en fait à déterminer les \(n_i^k\), car les \(n_i^k\) n’y figurent que par les rapports : \[\frac{n_i^k}{\sum_i n_i^k}=x_i^k\]

Ce qui veut dire que le système des équations d’équilibre en \(n_i^k,~p,~T\), s’il présente une solution, en présente une infinité d’ordre \(\varphi\) ; on pourra dans chaque phase multiplier par une constante arbitraire tous les \(n_i^k\) sans rien changer à l’équilibre.

La véritable façon de résoudre le problème consiste donc à écrire pour chaque constituant et chaque phase \(n_i^k=x_i^k~n^k\), \(x_i^k\) étant tel qu’il a déjà été défini et étant le nombre de moles total que contient la phase n° \(k\).

On considèrera alors que le nombre d’inconnues du problème est : \[c~\varphi+2+\varphi=(c+1)~\varphi+2\]

sachant que \(c\varphi\) est le nombre des \(x_i^k\), que \(\varphi\) est le nombre des \(n^k\) et que les équations de contrainte sont :

\[\begin{aligned} \sum_i x_i^k&=1~\quad\forall~k\qquad\varphi~\text{équations}\\ \sum_k x_i^k~n^k&=N_i\quad\forall~i\qquad i~\text{équations}\end{aligned}\]

\(N_i\) étant le nombre total de moles du constituant \(i\) du système.

Soit en tout \((c+\varphi)\) équations de contrainte.

Au total, en comptant les équations d’équilibre : \(c~(\varphi-1)+c+\varphi=\varphi~(c+1)\) équations liant un nombre d’inconnues égal à : \(\varphi~(c+1)+2\), ce qui donne bien deux degrés d’indétermination.

Or, pour résoudre le problème, il faut d’abord résoudre les équations en \(x_i^k\), ce qui n’est possible que si \(c+2-\varphi>0\), puis chercher à ajuster les nombres de moles \(n^k\) des diverses phases pour satisfaire aux conditions relatives à la masse totale de chaque constituant dans le système.

Les équations en \(n^k\) sont au nombre de \(c\), les \(n^k\) au nombre de \(\varphi\). Il semble donc qu’il n’y aura de solution que si \(\varphi>0\). Remarquons que si \(\varphi<c\) la variance du système selon Gibbs est supérieure à 2.

Supposons par exemple que \(\varphi=c-n\). La variance est \(V=2+n\) et nous pouvons, une fois choisies arbitrairement la température et la pression, faire varier les concentrations sans détruire l’équilibre de façon à rendre dépendantes des autres \(n\) équations parmi les équations de contrainte en \(n^k\).

Nous pouvons alors exactement résoudre le système des équations en \(n^k\), système qui contient le même nombre d’équations que d’inconnues, car nous avons ainsi réduit de \(n\) l’ordre d’indétermination en ce qui concerne les concentrations le ramenant à \(0\). Au total, c’est bien de deux paramètres seulement que dépend la solution. Il y a toutefois une restriction.

Si la variance est inférieure à 2, nous considèrerons séparément les cas suivants :

* \(V=1\) : Si \(T\) est fixée arbitrairement, \(p\) se trouve imposée, mais alors subsiste un degré de liberté sur la répartition des masses entre les diverses phases, la composition globale étant imposée.

* \(V=0\) : \(p\) et \(T\) ne peuvent êtres choisies arbitrairement et se trouvent imposée par le système, mais alors subsistent à l’équilibre 2 degrés de liberté sur la répartition des masses entre les différentes phases.

* \(V<0\) : L’équilibre n’est pas possible avec \(\varphi\) phases, le système évolue jusqu’à ce que l’une des phases au moins disparaisse.

Exemples

  1. Le mélange de deux gaz est trivalent au sens de Gibbs, mais si \(p\) et \(T\) sont fixées, l’état du système est bien défini si l’on s’est imposé aussi au départ la masse totale de chacun des constituants.

    Le système obtenu en mettant les deux gaz en présence et en les enfermant dans une enceinte dépend donc en fait de deux paramètres seulement.

  2. Le mélange liquide - vapeur formé à partir d’un seul corps pur est monovalent au sens de Gibbs. \(T\) étant fixée, \(p\) est imposée par le système. Il reste encore une indétermination sur le rapport des masses de liquide et de vapeur en présence.

  3. Le mélange eau - glace - vapeur est invariant au sens de Gibbs. \(p\) et \(T\) sont donc imposées par le système. Il subsiste deux degrés de liberté pour l’état du système, à savoir les rapports : masse liquide / masse vapeur et masse liquide / masse solide.

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