1. Notion d’opérateur : concept et perception physique
Nous connaissons à présent la première équation de la mécanique quantique, l’équation de Schrödinger. Pour la simplification de l’exposé, nous la considérons ici dans un espace à une dimension, la généralisation à plusieurs dimensions ne présentant aucune difficulté.
L’équation s’écrit : \[-\frac{\hbar^2}{2~m}~\frac{d^2\Psi}{dx^2}+V~\Psi=E~\Psi\qquad[1]\]
Le principe de conservation de l’énergie : \[E_{\text{totale}}~=~E_{\text{cinétique}}~+~E_{\text{potentielle}}~=~cte\]
se traduit par la relation (à l’impulsion \(p\)) : \[\frac{p^2}{2~m}+V~=~E\qquad[2]\]
D’un point de vue formel, le rapprochement avec l’équation de Schrödinger tient au remplacement de l’énergie cinétique par l’opérateur : \[\frac{\hbar^2}{2~m}~\frac{d^2}{dx^2}\]
et à la multiplication des deux membres par \(\Psi\).
Présentée dans cette optique, on voit que l’on peut considérer l’équation de Schrödinger comme l’équation aux valeurs propres de l’opérateur \(H\) : \[H~=~\frac{\hbar^2}{2~m}~\frac{d^2}{dx^2}+V\qquad[3]\]
Un opérateur se définit par l’action qu’il exerce sur une fonction. Une confusion peut naître, celle de le considérer comme une fonction, ce qui tient au fait que, pour des raisons de simplicité il est représenté de la même façon qu’une expression mathématique simple.
2. Valeurs propres et états propres d’un opérateur
On peut associer à tout opérateur \(A\) un ensemble de nombres appelés valeurs propres \(\alpha\) de cet opérateur qui sont telles que : \[A~\Psi=\alpha~\Psi\qquad[4]\]
\(\Psi\) répondant à certaines conditions aux limites.
Le premier membre est une action fonctionnelle, le deuxième une simple multiplication.
2.1. Principe fondamental
Le principe fondamental s’énonce ainsi :
Toute grandeur physique se représente par un opérateur, et une mesure de cette grandeur physique ne peut donner comme résultat qu’une des valeurs propres de cet opérateur. Le système est alors dans un des états propres possibles pour cette grandeur physique.
2.2. Énergie et ses valeurs propres
L’énergie d’un système en est le premier exemple puisque c’est en partant de l’équation de Schrödinger que ce principe a été induit. La grandeur physique énergie se représente bien par un opérateur et l’on trouve comme énergie possibles (niveaux des électrons atomiques ou niveaux d’une particule dans un puits de potentiel) les valeurs propres de cet opérateur.
S’agissant d’autres applications, il suffit de savoir écrire les opérateurs correspondant aux diverses grandeurs physiques.
Les grandeurs classiques sont soit fonction de \(x\) – et l’opérateur correspondant à \(x\) est la simple multiplication par \(x\) –, soit fonction de la quantité de mouvement.
D’après l’équation de Schrödinger, l’opérateur correspondant à \(p_x^2\) est : \[p_x^2\quad\rightarrow\quad -\hbar^2~\frac{d^2}{dx^2}\]
Donc l’opérateur correspondant à \(p_x\) est (signe sans importance pourvu que l’on se tienne au choix qui aura été fait) : \[p_x\quad\rightarrow\quad \pm i~\hbar~\frac{d}{dx} \qquad[5]\]
Ce qui vient d’être dit peut être vérifié immédiatement avec la résolution de l’équation :
\[\begin{aligned} &-i~\hbar~\frac{d}{dx}\Psi~=~p_x.\Psi\qquad[6]\\ &~~~~\text{(oper)}\Psi=\text{(val prop)}.\text{(fonc prop)}\end{aligned}\]
La solution en est l’onde plane familière : \[\Psi=\exp\Big(i~\frac{p_x}{\hbar}\Big)\qquad[7]\]
et cette solution existe quelle que soit la quantité de mouvement \(p_x\).
Noter que cet exemple montre que le fait de se placer en mécanique quantique n’entraîne pas nécessairement de quantification.
2.3. Notion d’état intermédiaire
Remarque de notation : On trouvera souvent une notation de la forme \(\hat{H}\) qui permet de distinguer l’opérateur de la fonction ou matrice \(H\) en tant que telle.
Considérons l’équation opérationnelle : \[|\Phi\rangle~=~\hat{A}~|\Psi\rangle\qquad[8]\]
Un certain opérateur \(\hat{A}\) peut agir sur n’importe quel état \(|\Psi\rangle\).
Remarquons que l’état obtenu de cette façon peut être très particulier, voire représenter une situation physique qui a peu de chance d’exister dans la nature. En d’autres termes, il est possible d’obtenir des états qui ne soient que des artifices mathématiques.
Cependant, de tels états artificiels peuvent présenter une grande utilité par exemple comme une étape intermédiaire de calcul. C’est une technique qui pourrait être comparée à celle qui consiste à lever une indétermination dans une expression mathématique grâce au cas limite (du type \(\sin x/x \rightarrow 1\) quand \(x\rightarrow 0\)).
3. Opérateurs élémentaires
3.1. Rotation
Il existe certains états particuliers tels que l’opération considérée produise un nouvel état identique à l’état original multiplié par un certain facteur de phase \(\varphi\).
Si la rotation \(R_z\) par \(\varphi\) a pour effet de multiplier l’état initial \(|\Psi_0\rangle\) par une phase \(\exp(i\delta)\) de sorte que : \[\hat{R}_z~|\Psi_0\rangle~=~\exp(i~\delta)~|\Psi_0\rangle\qquad[9]\]
alors deux rotations successives doivent multiplier l’état par : \[\exp(i\delta)~~~\rightarrow~~~[\exp(i~\delta)]^2=\exp(2~i~\delta)\]
On a en effet :
\[\begin{aligned} \hat{R}_z(\varphi)~\hat{R}_z(\varphi)~|\Psi_0\rangle&=\hat{R}_z(\varphi)~\exp(i~\delta)~|\Psi_0\rangle \\ &=\exp(i~\delta)~\hat{R}_z(\varphi)~|\Psi_0\rangle \\ &=\exp(i~\delta)~\exp(i~\delta)~|\Psi_0\rangle\end{aligned}\]
La variation de phase doit être proportionnelle à \(\varphi\).
3.2. Translation dans l’espace
Considérons un système physique en supposant que l’on puisse prendre l’ensemble du système pour le déplacer et cela sans incidence sur le système lui-même. Les propriétés du hamiltonien de ce système ne dépendent, en un certain temps, que des coordonnées internes et non pas de la position absolue dans l’espace.
Ces hypothèses étant faites, il y a une opération de symétrie particulière qui peut être réalisée : c’est la translation dans l’espace.
Nous définissons \(\hat{D}_x(a)\), opération de déplacement sur une distance \(a\) de l’axe \([x]\). Cette opération peut être réalisée sur n’importe quel état pour obtenir un autre état.
Il peut exister certains états, très particuliers tels que, déplacés le long de l’axe \([x]\), on obtienne le même état, à un facteur de phase près. On peut d’ailleurs prouver que cette phase est proportionnelle au déplacement \(a\). Pour ces états particuliers \(|\Psi_0\rangle\), on peut écrire : \[\hat{D}_x(a)~|\Psi_0\rangle=\exp(i~k~a)~|\Psi_0\rangle\qquad[10]\]
Ce coefficient \(k\) multiplié par la constante \(\hbar\) est alors appelée composante selon \(x\) de l’impulsion. Ce nom lui est donné parce qu’il est numériquement égal à l’impulsion classique \(p_x\) quand on a affaire à un système de grandes dimensions.
Énoncé
Si le hamiltonien est inchangé lorsque le système est déplacé et si, au départ, l’état a une impulsion définie dans la direction \([x]\), alors cette impulsion restera la même au cours du temps. L’impulsion totale du système, avant ou après une collision, une explosion ou autre... restera la même.
Il existe une opération tout à fait analogue au déplacement dans l’espace, c’est le déplacement dans le temps.
3.3. Déplacement dans le temps
Considérons un système physique ne subissant aucun effet extérieur qui dépende du temps. À un instant donné, agissons sur ce système, mis alors dans un certain état, puis laissons-le évoluer.
Supposons que la même expérience soit refaite quelque \(\tau\) secondes plus tard. Si les conditions ne dépendent pas du temps absolu, l’évolution sera la même que dans le premier cas, l’état final étant le même mais quelques \(\tau\) secondes plus tard.
Dans ces conditions, nous pouvons trouver ici aussi des états dont l’évolution en fonction du temps est telle qu’un état ultérieur soit le même qu’un état antérieur, mais multiplié par un facteur de phase.
Cette fois encore, la variation de phase de ces états particuliers doit être proportionnelle au retard \(\tau\). Ce qui s’exprime par : \[\hat{D}_t(\tau)~|\Psi_0\rangle~=~\exp(-i~\omega~\tau)~|\Psi_0\rangle\qquad[11]\]
Par convention, on utilise le signe \((-)\) pour \(\omega\), l’énergie du système étant alors \(\omega~\hbar\), laquelle est conservée.
Un système est donc d’énergie définie si, déplacé dans le temps de \(\tau\), il se reproduit lui-même, mais multiplié par \([\exp(-i~\omega~\tau)]\).
Cela signifie que si un système est d’énergie définie et si son hamiltonien ne dépend pas du temps, alors, quel que soit le processus en cours, l’énergie du système restera égale à elle-même en tout instant ultérieur.
Remarques
-
La symétrie par rapport au déplacement temporel implique la conservation de l’énergie.
-
La symétrie par rapport à une position suivant \(\{x,~y,~z\}\) implique la conservation des composantes \(x,~y\) ou \(z\) de l’impulsion.
-
La symétrie par rapport aux rotations autour des axes \(x,~y\) ou \(z\) implique la conservation des composantes \(x,~y\) ou \(z\) du moment angulaire.
-
L’opération de déplacement est généralement notée \(\hat{U}\) par certains auteurs : \[\hat{D}_t(\tau)~\equiv~\hat{U}(t+\tau,~t)\qquad[12]\]
4. Déplacements infinitésimaux
L’opérateur d’un déplacement infinitésimal dans le temps \(\Delta t\) est défini par : \[\hat{D}_t(\Delta t)=1-\frac{i}{\hbar}~\Delta t~\hat{H}\qquad[13]\]
\(\hat{H}\) est l’analogue de l’énergie (constante), ce qui est exprimé sous forme d’opérateur par (expression rencontrée précédemment) : \[\hat{H}~|\Psi\rangle~=~E~|\Psi\rangle\qquad[14]\]
Si nous faisons un petit déplacement selon \(\Delta x\), un état \(|\Psi\rangle\) sera généralement transformé en un autre état \(|\Psi'\rangle\) tel que : \[|\Psi'\rangle~=~\hat{D}_x(\Delta x)~|\Psi\rangle~=~(1+\frac{i}{\hbar}~\hat{p}_x~\Delta x)~|\Psi\rangle\qquad[15]\]
En effet, à la limite : \[\Delta x=0\qquad\Rightarrow\qquad\hat{D}_x(0)=1\quad\text{et}\quad|\Psi'\rangle=|\Psi\rangle\]
Pour \(\Delta x\) petit, la variation \(\hat{D}_x(\Delta x)\), à partir de la valeur \(1\) doit être proportionnelle à \(\Delta x\). Défini de cette façon, l’opérateur \(\hat{P}_x\) est appelé opérateur d’impulsion (pour la composante \(x\)).
Pour des raisons identiques, on pourra écrire pour les petites rotations : \[\hat{R}_z(\Delta\varphi)~|\Psi\rangle=(1+\frac{i}{\hbar}~\hat{J_z}~\Delta\varphi~|\Psi\rangle\qquad[16]\]
\(\hat{J}_z\) désignant l’opérateur de la composante en \(z\) du moment cinétique.
S’il s’agit d’un de ces états particuliers pour lesquels : \[\hat{R}_z(\varphi)~|\Psi_0\rangle=\exp(i~m~\varphi)~|\Psi_0~\rangle\qquad[17]\]
et considérant un petit angle \(\Delta\varphi\) de sorte qu’un développement en série soit possible, on peut écrire, au premier ordre : \[\hat{R}_z(\Delta\varphi)~|\Psi_0\rangle=\exp(i~m~\Delta\varphi)~|\Psi_0\rangle=(1+i~m~\Delta\varphi)~|\Psi_0\rangle\qquad[18]\]
Et en faisant le rapprochement avec la définition de \(\hat{J}_z\) [16], nous obtenons : \[\hat{J}_z~|\Psi_0\rangle=m~\hbar~|\Psi_0\rangle\qquad[19]\]
Autrement dit, si on applique l’opérateur \(\hat{J}_z\) sur un état de moment cinétique défini par rapport à l’axe \(z\), on obtient le même état multiplié par \(m~\hbar\) qui est en fait la grandeur de la composante en \(z\) du moment cinétique.
En parfaite analogie, l’opération de \(\hat{H}\) sur un état d’énergie définie donnait \(E~|\Psi\rangle\).