1. Rotation infinitésimale (pour rappel)
Nous avons vu au chapitre 4 de l’article IX qu’en effectuant un petit déplacement Δx suivant l’axe des (x), un état |Ψ⟩ était transformé en un autre état |Ψ′⟩ tel que : |Ψ′⟩=ˆDx(Δx) |Ψ⟩=(1+iℏ ˆpx Δx) |Ψ⟩[1]
Pour une très petite rotation Δϕ autour de l’axe des (z), et en écriture analogue : ˆRz(Δϕ) |Ψ⟩=(1+iℏˆJz Δϕ) |Ψ⟩[2]
ˆJz apparaît ainsi comme la composante z d’un moment cinétique un peu particulier.
2. Moment cinétique orbital
Revenons à présent à la fonction d’onde Ψ(r). Elle ne dépend que des coordonnées du système étudié{r=x, y, z}.
Un opérateur moment cinétique relatif à l’axe des z est noté ˆLz. L’opérateur algébrique associé est noté ^Lz. On lui associe une rotation d’énergie impulsionnelle ε : ˆRz(ε) |Ψ⟩=(1+iℏ ˆLz ε) |Ψ⟩[3]
Cette définition ne s’applique qu’à un état |Ψ⟩, ne dépendant que des coordonnées {r=x, y, z}, donc sans variables internes (intrinsèques).
Suite à une rotation de petit angle ε autour de l’axe z, nous observons un nouvel état : |Ψ′⟩=ˆRz(ε) |Ψ⟩[4]
Et si nous voulions décrire l’état |Ψ⟩ dans une représentation d’espace : Ψ′(r)=(1+iℏ ε ˆLz) Ψ(r)[5]
Dans le nouveau système, en supposant ε extrêmement petit de sorte que l’amplitude pour la particule dans une position donnée P puisse être supposée conservée, on peut écrire : Ψ′(x, y, z)=Ψ(x+ε y, y−ε x, z)=Ψ(x, y, z)+ε y ∂Ψ∂x−ε x ∂Ψ∂y[6]
Il en résulte pour l’opérateur algébrique une expression symbolique utile : ^Lz=ℏi {x ∂∂y−y ∂∂x}[7]
formule qui ressemble – ce qui était intuitif – aux composantes provenant à la formule classique d’un produit vectoriel (donc d’un moment) : →L=→r∧→p
On remarquera deux équivalences pour la formule [7] :
-
Opérateurs algébriques : ^Lz=x ^Py−y ^Pxet permutations[8]
-
Opérateurs quantiques : ˆLz=ˆx ˆpy−ˆy ˆpxet permutations[9]
3. Règle de commutation
On peut établir la règle de commutation des moments angulaires (voir la démonstration ci-après) : {ˆLx ˆLy}=ˆLx ˆLy−ˆLy ˆLx=i ℏ ˆLz[10]
Le résultat n’étant pas nul, les opérateurs ˆLx et ˆLy ne commutent pas.
Exemple : image physique du phénomène de non commutation avec un simple livre posé sur une table.
-
Faisons-le tourner de π/2 autour des (x) puis de π/2 autour des (y) ;
-
faisons-le tourner de π/2 autour des (y) puis de π/2 autour des (x).
-
Le résultat diffère du premier.
C’est à cette propriété de l’espace que l’on doit la relation [10].
3.1. Démonstration
Démonstration effectuée dans le seul but d’illustrer une manipulation des opérateurs.
Les écritures des variables ˆx et ˆy sont à présent considérées comme des opérateurs et non comme une simple multiplication.
Effectuons le développement suggéré : {ˆLx, ˆLy}={ˆy ^pz−ˆz ˆpy , ˆz ^px−ˆx ˆpz}
L’opération étant distributive : {ˆy ˆpz, ˆz ˆpx}−{ˆy ˆpz, ˆx ˆpz}−{ˆz ˆpy, ˆz ˆpx}+{ˆz ˆpy, ˆx ˆpz}
Les deux termes précédés du signe (−) sont tous deux nuls.
Par ailleurs : {ˆxi, ˆpj}=δij∀ i, j∈{x, y, z}
Il reste : {ˆLx, ˆLy}={ˆy ˆpz, ˆz ˆpx}+{ˆz ˆpy, ˆx ˆpz}
Compte tenu de la dissymétrie : {ˆLy, ˆLx}=−{ˆLx, ˆLy}
– Première relation : {ˆy ˆpz, ˆz ˆpx}=ˆy ˆpz ˆz ˆpx−ˆz ˆpx ˆy ˆpz=ˆy ^px (ˆpz ˆz−ˆz ˆpz)=^y ^px {ˆpz, ˆz}
– Deuxième relation : {ˆz ˆpy, ˆx ˆpz}=ˆx ˆpy {ˆz, ˆpz}
En les additionnant : ˆy ˆpx (−i ℏ)+ˆx ˆpy (+i ℏ)
Ce qui donne bien : i ℏ (ˆx ˆpy−ˆy ˆpx)=i ℏ ˆLz
D’une manière générale : [14]{{ˆLx, ˆLy}=i ℏ ˆLz{ˆLy, ˆLz}=i ℏ ˆLx{ˆLz, ˆLx}=i ℏ ˆLy
Si nous considérons par contre l’opérateur carré du moment cinétique (distingué par un caractère gras) : ˆL2=ˆL2x+ˆL2y+ˆL2z[15]
On obtient : {ˆL2, ˆLx}={ˆL2, ˆLy}={ˆL2, ˆLz}=0[16]
Le nouvel opérateur commute avec chacun des trois autres opérateurs.
Physiquement, cela signifie que le carré du moment cinétique, c’est-à-dire sa valeur absolue, peut avoir une valeur déterminée en même temps que l’une de ses composantes.
4. Combinaisons complexes
Au lieu des opérateurs classiques ˆLx, ˆLy, il est souvent plus commode d’utiliser leurs combinaisons complexes : ˆL+=ˆLx+i ˆLy;ˆL−=ˆLx−i ˆLy[17]
Par un calcul direct à partir des relations [14], on pourra établir que ces combinaisons obéissent aux règles de commutation suivantes : [18]{{ˆL+, ˆL−}=2 ˆLz{ˆLz, ˆL+}=ˆL+{ˆLz, ˆL−}=−ˆL−
De la même manière, on pourra vérifier que : ˆL2=ˆL+ ˆL−+ˆL2z−ˆLz[19]ˆL2=ˆL− ˆL++ˆL2z+ˆLz
4.1. Expression analytique de ˆL2
En effectuant le calcul en coordonnées sphériques : [20]x=r sinθ cosφy=r sinθ sinφz=r cosθ
et sachant que : ˆLz=−i ℏ ∂∂φ
on obtient le résultat suivant : ˆL2=−ℏ2 {1sin2θ ∂2∂φ2+1sinθ ∂∂θ (sinθ ∂∂θ)}[21]
On retrouve, à un facteur près, le terme angulaire de l’opérateur de Laplace Δ donné en coordonnées sphériques.
5. Valeurs propres
5.1. Moment ˆLz
Pour déterminer la valeur propre du moment cinétique de la particule sur une certaine direction, il est commode d’utiliser l’expression de son opérateur en coordonnées sphériques, l’axe polaire étant confondu avec la direction envisagée.
Nous appellerons ˆlz cet opérateur, utilisant la lettre minuscule pour bien signifier qu’il s’agit d’une particule et non d’un système.
La relation à la fonction d’onde : ˆlz Ψ=lz Ψ
s’écrivant analytiquement : (−i ℏ ∂∂ϕ) Ψ=lz Ψ
L’opérateur ˆlz n’agissant que sur ϕ, il est alors possible de séparer les variables en posant : Ψ(r, θ, ϕ)=f(r, θ) g(ϕ)[21]
telle que : −i ℏ dfdϕ=ℏ m g(ϕ)
Ce qui fait que g(ϕ) est de la forme exp(i m ϕ) à un facteur de normalisation près et à un facteur de phase près.
On part donc de la forme : Ψ=f(r, θ) exp(i m ϕ)[22]
-
f(r, θ) est une fonction arbitraire de r et de θ ;
-
pour que la fonction Ψ soit uniforme, il faut qu’elle soit périodique en ϕ et de période 2π.
On en déduit que : lz=m;m=0, ±1, ±2, …[23]
Les valeurs propres lz sont donc des entiers, positifs et négatifs (valeur zéro comprise).
m, désignation généralement admise pour les valeurs propres de la projection du moment cinétique, est aussi celle de la masse de la particule.
Le facteur dépendant de ϕ sera désigné par : Φm(ϕ)=1√2π exp(i m ϕ)[24]
C’est une caractéristique des fonctions propres de l’opérateur ˆlz qui sont normalisées, de sorte qu’elles respectent la condition : ∫2π0¯Φm(ϕ) Φm′(ϕ) dϕ=δmm′[25]
δ étant le classique symbole de Kronecker.
Dans la même ligne que ce qui a été dit précédemment, les valeurs propres sur l’axe des z du moment cinétique total du système sont aussi des entiers : Lz=M;M=0, ±1, ±2, …[26]
Ceci résulte du fait que ˆLz est la somme d’opérateurs commutatifs ˆlz des diverses particules.
On obtient le même résultat pour ˆLx et ˆLy pour les composantes du moment cinétique dans n’importe quelle direction. Elles ne peuvent toujours prendre que des valeurs entières.
On démontre qu’il n’existe pas d’état dans lequel deux ou trois composantes du moment dans différentes directions aient simultanément des valeurs déterminées non nulles de sorte que seule l’une d’entre elles peut prendre des valeurs entières.
5.2. Moment ˆL2
Les valeurs propres de L2 peuvent être obtenues à partir des règles de commutation.
Désignons par ΨM les fonctions d’onde des états stationnaires se rapportant à un niveau d’énergie dégénéré et se distinguant par la valeur Lz=M.
Partons alors de la relation : ˆL2=ˆL2x+ˆL2y+ˆL2zouˆL2−ˆL2z=ˆL2x+ˆL2y[27]
On voit donc que : ˆL2−ˆL2z≥0c'est-à-dire :ˆL2>ˆL2z[28]
Et on aura, pour toutes les valeurs propres de Lz : −√L2 ≤ Lz ≤ +√L2[29]
Désignons par L le nombre entier correspondant à la plus grande valeur de |Lz|. Puis, appliquant l’opérateur ˆLz ˆL± à la fonction propre ΨM de l’opérateur ˆLz et compte tenu de la règle de commutation : {ˆLz, ˆL±}=ˆL±
il vient : (ˆLz ˆL±) ΨM=(M±1) ˆL± ΨM[30]
Ceci prouve que la fonction (ˆL± ΨM) est, à un facteur de normalisation près, la fonction propre correspondant à la valeur (M±1) de Lz.
On peut donc écrire : [31]{ΨM+1=k ˆL+ ΨM;k constantΨM−1=k ˆL− ΨM
En faisant M=L dans la première relation, on doit avoir identiquement ˆL+ ΨL=0, car il n’existe pas, par définition, d’état tel que M>L.
Appliquons à présent cette égalité à l’opérateur ˆL− et en utilisant la relation [19] : ˆL− ˆL+ ΨL=(ˆL2−L2y−L2z) ΨL=0[31]
Les ΨM étant les fonctions propres communes de ˆL2 et ˆLz : [32]{ˆL2 ΨL=L2 ΨLˆL2z ΨL=L2 ΨLˆLz ΨL=L ΨL
De sorte que l’équation déduite donne : L2=L (L+1)[33]
Cette relation mathématique justifie l’adoption de la notation L2, opérateur et sans aucun rapport avec L2 (carré de L).
Pour une valeur donnée de L, la composante Lz=M du moment peut prendre les valeurs : M=L, L−1, …, −L[34]
C’est-à-dire en tout (2 L+1) valeurs différentes.
Ainsi, le niveau d’énergie correspondant au moment L est (2 L+1) fois dégénéré. L’état de moment L=0 (ses trois composantes étant alors non nulles) n’est pas dégénéré. La fonction d’onde d’un tel état est douée de symétrie sphérique.
Le moment d’une seule particule étant désigné par l, nous pourrions écrire de manière analogue : l2=l (l+1)
6. Fonctions propres
La donnée de ˆl2 et l ne définit pas complètement la fonction d’onde d’une particule.
Les expressions en coordonnées sphériques des opérateurs de ces grandeurs ne contiennent que les angles θ et ϕ. De sorte que leurs fonctions propres peuvent contenir un facteur arbitraire dépendant de r.
Il ne sera question ici que de la partie angulaire de la fonction d’onde.
Désignons-là par Ylm(θ, φ) et normalisons-là : ∫|Ylm|2 sinθ dθ dφ=1[35]
On peut chercher les fonctions propres sous la forme (séparation des variables) : Ylm=Φm(φ) Θlm(θ)[36]
Et nous avons vu que (fonctions propres de lz) : Φm(φ)=1√2π exp(i m φ)
Les Θlm doivent être également normalisées : ∫π0|Θlm|2 sinθ dθ=1[37]
Les fonctions Ylm sont automatiquement orthogonales : ∫2π0∫2π0¯Yl′m′ Ylm sinθ dθ dφ=δl′l δm′m[38]
Ce qui est évident, car ce sont des fonctions propres d’opérateurs du moment correspondant à différentes valeurs propres.
Les fonctions Θlm(θ) ne sont pas elles-mêmes fonctions propres de l’un quelconque des opérateurs du moment. Elles sont orthogonales pour différents l, mais non pour différents m.
Nous allons à présent faire le calcul de ces fonctions Θ, la méthode la plus directe consistant à déterminer les fonctions propres de l’opérateur ˆl2 exprimé en coordonnées sphériques.
L’équation : ˆl2 Ψ=l2 Ψ
conduit à : 1sin2θ ∂2Ψ∂φ2+1sinθ ∂∂θ(sinθ ∂Ψ∂θ)+l (l+1)=0[39]
Revenant à la forme de Ψ en Φm(ϕ) Θlm(θ), il vient : −m2sin2θ Θlm+1sinθ ddθ(sinθ dΘlmdθ)+l (l+1)=0[40]
Une équation bien connue dans la théorie des fonctions sphériques. Ses solutions satisfont aux conditions de finitude et d’uniformité pour les entiers positifs l ≥ |m|. Les solutions correspondantes sont connues en tant que polynômes de Legendre Pml(cosθ).
Toute normalisation effectuée, il vient : Θlm(θ)=(−1)m il √(2 l+1)2 √(l−m)!(l+m)! Pml(cosθ)[41]
On a supposé m ≥ 0.
Pour les valeurs de m<0, on définira Θlm par la relation : Θl, −|m|=(−1)m Θl, |m|[42]
Pour m=0, on aura : Θl0=il √2 l+12 Pl(cosθ)[43]
Ainsi donc, du point de vue mathématique, les fonctions propres du moment ne sont autres que des fonctions sphériques convenablement normalisées.
Les fonctions se distinguant du signe de m sont liées par la relation : (−1)l−m Yl, −m=¯Ylm[44]
7. Règles d’additions des parités d’état et des moments
7.1. Parités
Introduisons à présent l’opérateur d’inversion ˆI. Son action sur une fonction consiste dans le changement des signes de toutes ses coordonnées.
L’opérateur d’Hamilton ˆH est invariant à l’égard de l’inversion : ˆH ˆI−ˆI ˆH=0[45]
L’opérateur ˆI commute également avec les opérateurs du moment cinétique : [46]{{ˆI, ˆLx}={ˆI, ˆLy}={ˆI, ˆLz}=0{ˆI, ˆL2}=0
Les signes des coordonnées et des opérateurs de dérivation par rapport aux coordonnées changeant par inversion, les opérateurs du moment restent inchangés.
Quelles sont les valeurs propres I de l’opérateur d’inversion ˆI ?
On commence par poser : ˆI Ψ=I Ψ[47]
On applique deux fois l’opérateur ˆI, c’est à dire l’opération identique : ^I2 Ψ=I2 Ψ=Ψ⇒I=±1[48]
Ainsi, les fonctions propres de l’opérateur d’inversion restent ou bien absolument inchangées, ou bien encore elles changent de signe. Dans le premier cas, on dit que la fonction d’onde (et l’état correspondant) est paire et que, dans le second, elle est impaire.
L’égalité [45] exprime donc la loi de la conservation de la parité : si l’état d’un système fermé est doué d’une parité déterminée (paire ou impaire), cette parité se conserve dans le temps.
Les égalités [46] signifient, au point de vue physique, que le système peut être doué de L et M déterminés ainsi que, simultanément, d’une parité d’état déterminée. On peut alors affirmer que tous les états différant uniquement par la valeur de M ont la même parité.
7.2. Addition des moments
Ce chapitre étant constitué par un grand nombre de calculs classiques, nous nous en tiendrons à certains résultats importants à connaître, ceci en vue de leurs applications.
Considérons un système composé de deux parties en interaction faible. Quelles sont les valeurs possibles de L pour des L1 et L2 donnés ?
La loi d’addition des composantes des moments est évidente : ˆLz=ˆL1z+ˆL2z⇒M=M1+M2[49]
Une telle relation simple n’a plus lieu pour les opérateurs des carrés des moments.
On adopte le modèle vectoriel en introduisant deux vecteurs (L1, L2) de longueurs (L1, L2). Les valeurs de L se représentent comme les longueurs entières des vecteurs L, sommes vectorielles de (L1,L2).
La plus grande valeur (L1+L2) de L s’obtient lorsque L1 et L2 sont parallèles et la plus petite (|L1−L2|) lorsqu’elles sont antiparallèles. Par itération, la règle déduite permet d’ajouter les moments en nombre arbitraire.
Dans les états où les moments L1 et L2 et le moment total L ont des valeurs déterminées, il en est de même des produits scalaires (L1, L2), (L, L1), (L, L2).
On écrit que : ˆL=ˆL1+ˆL2
puis, élevant au carré : 2 ˆL1 ^L2=ˆL2−ˆL21−ˆL22[50]
Remplaçant les opérateurs du second membre par leurs valeurs propres, on obtient la valeur propre de l’opérateur du premier membre de l’égalité : L1 L2=12 {L (L+1)−L1 (L1+1)−L2 (L2+1)}[51]
Et, de manière analogue : L L1=12 {L (L+1)+L1 (L1+1)−L2 (L2+1)}[52]